À quoi sert la fiction ? Voici trois ouvrages, l’un destiné aux jeunes de 6 à 10 ans, les deux autres proposés aux préadolescents et adolescents, qui offrent chacun une réponse à cette question. Le premier roman chroniqué met en avant la fonction de la littérature pour la connaissance de soi et pour l’appréhension du réel ; le second est un roman historique sur un sujet peu traité de la Commune de Paris de 1871 : la cause animale -sujet qui peu à peu s’imposant dans les débats contemporains, offre à ce roman historique une dimension d’actualité ; le troisième, enfin, témoigne que l’album destiné au plus jeune lectorat peut permettre une connaissance de l’Histoire.
FAVARO, Patrice, Sombre, Calicot, 2022, 61 p. 9€
Sombre signe le retour à la littérature de fiction destinée à la jeunesse de Patrice
Favaro. Ce bref roman intéressera à coup sûr bibliothèques et centres de documentation
et d’information. En effet, l’intrigue est constituée sur le croisement de
thématiques en vogue : le harcèlement, l’homophobie, l’affirmation de soi,
le sentiment amoureux.
Ecrit à la première personne, il présente un écrivain revenant sur les
lieux de son enfance, se remémorant un épisode douloureux puis formulant une
fin d’espoir :
« Les
souvenirs affluent puis s’évanouissent comme un mirage » (p.58)
« Le passé
est passé et c’est beaucoup mieux comme ça » (p.58)
Les deux premiers chapitres font entrer le jeune lecteur ou la jeune lectrice dans un univers mental bouillonnant. Brisant la linéarité de la mise en page, un rythme dense est donné au récit. On regrettera que l’auteur ait préféré se conformer à l’introduction de thèmes qui font, certes, échos à l’actualité, que de poursuivre sur la lancée des deux premiers chapitres à proposer un roman tendu depuis une conscience tourmentée. Est-ce la volonté de s’inscrire pleinement dans la littérature jeunesse et donc d’en suivre les codes prescriptifs ? Est-ce essoufflement de l’intrigue ? Nous penchons pour la première préoccupation.
MORISSE
Fred, Sauvons les animaux du zoo !, éditions chant d’orties
- éditions Le bas du pavé, 2020, 159 p. 16€
La
littérature est ce champ de culture où les faits anecdotiques pour l’Histoire
officielle retrouve leur place parmi l’histoire réelle des peuples. Sauvons
les animaux du zoo ! en est une illustration.
Durant le
siège de Paris par les prussiens, en cet hiver 1870/1871, les riches mangent à
leur faim, se nourrissant en viande au Jardin des Plantes où logent les animaux
exotiques du zoo. Une bande de préadolescents d’un quartier populaire de la
ville va visiter le zoo grâce au grand-père de l’une d’entre eux, ancien guide
en ce lieu. Les pauvres crèvent la faim, les riches s’empiffrent, les animaux
encagés, aussi, sont exploités par les riches. Alors sauvons les animaux, se
disent-ils : voici la lutte des classes transposée sur le front animalier.
Voilà l’histoire improbable que raconte ce livre en suivant une bande de
copains dans Paris bombardé. Le 28 septembre 1871, l’armistice
franco-prussienne est signé, Napoléon III vaincu cède la place à la République
bourgeoise et c’est le début d’une autre histoire et d’une autre trahison du
peuple.
Commission
lisezjeunesse
VANDER
ZEE Ruth, L’Histoire d’Erika, traduction de Christiane Duchesne,
illustrations INNOCENTI Roberto, éditions d2eux éditions, 2021,
24 p. 15€
Il
s’agit de la réédition d’un album paru en 2003, chez Milan, sous le titre L’Étoile d’Erika. L’album est
fondé sur une histoire vraie : une jeune maman juive déportée lance son
bébé, depuis le wagon qui l’amène au camp de Dachau et à la mort. Le bébé sera
recueilli par un couple. L’autrice rencontrera, bien des années plus tard, la
survivante qui lui raconte son histoire. L’album est donc écrit sous la forme
d’une confidence irriguée des questions sans réponse eu égard aux parents, à la
tempête des sentiments qui devait se bousculer dans leur tête en comprenant
qu’ils allaient à la mort, aux derniers gestes envers leur fille qu’ils
allaient tenter de sauver en la projetant hors du wagon lors d’un arrêt
inopiné.
Ce
texte touchant est magnifié par les illustrations hors normes de Roberto
Innocenti. Comment rendre compte graphiquement du génocide et de la
guerre ? Innocenti répond par l’épure. D’abord, dans les rares scènes où
sont figurés les déportés et des soldats du régime nazi, l’illustrateur s’interdit
de dessiner et peindre des visages (un seul est vu de profil et de loin, celui
du futur père adoptif) et il privilégie le contexte : la voie ferrée, le
berceau sur le quai de la gare après le départ du train de la mort, le quai,
les rails, les traverses, les fils de fer barbelé, des clôtures, des
wagons : « j’ai confié le caractère dramatique de cette histoire
aux objets » dira-t-il à Rossana Dedola (1).
Toute
l’histoire du voyage est de couleur sombre, entre gris et vert ni blanc ni noir
mais aucune couleur autre, à l’exception de ce petit paquet rose lancé à la vie
depuis le wagon funèbre. Les deux seules images en couleur sont, d’une part, la
première image illustrative d’un texte qui redouble la description de l’endroit
où Ruth Vander Zee a rencontré Erika, et d’autre part, celle de la double page
où l’enfant grandie regarde passer un train alors que sa mère adoptive étend le
linge ; aux abords d’un village habité par des gens du peuple.
L’album,
L’Histoire d’Erika, est devenu un chef d’œuvre grâce à la
précision des dessins, à la rigueur réfléchie des peintures, au choix des
motifs de l’illustration. Ces choix renforcent le parti pris du genre de la
confidence dont Ruth Vander Zee a fait le vecteur de cette histoire vraie,
réussissant à la transgresser en un récit au message universel contre la
barbarie nazie.
Philippe
Geneste
(1)
Dedola, Rossana, Le conte de ma vie. Entretiens avec Roberto Innocenti,
Gallimard, 2015, 128 p. – p.102