Anachroniques

26/03/2023

Vérités révélées

CORENBLIT Rachel, Sortir du placard, Nathan, collection Court toujours, 56 p., 2022, 8€.

Le résumé :

Rita a dix-sept ans et décide d’avouer à son entourage qu’elle n’aime pas les garçons (1). Ses parents sont séparés, Rita en parle d’abord à sa maman qui prend assez bien cette nouvelle. Elle s’en veut seulement de ne pas l’avoir deviné avant. Son père est quant à lui un peu surpris, il pense que c’est « de sa faute » parce qu’il n’a pas été assez présent lorsque sa fille était petite… Son meilleur ami, Dimi, la comprend.

Lors d’un repas de famille avec ses grands-parents, sa tante, son oncle… le père de Rita décide d’annoncer à tout le monde que sa fille est homosexuelle pour montrer qu’il est à l’aise avec cette situation (sans en avertir sa fille au préalable…). Rita est très gênée mais heureusement personne dans sa famille ne la rejette même s’ils ne comprennent pas forcément. Ses grands-parents pensent que « c’est la mode »…

À la fin de l’histoire, Rita a son premier flirt avec une fille, lors d’une soirée d’anniversaire chez une copine.

Mon avis :

Ce Roman pour préadolescents et préadolescentes est assez court et très facile à lire. Les personnages sont assez attachants. Personne ne rejette Rita pour son homosexualité, en revanche certaines réactions révèlent une gêne : son père, notamment, qui veut montrer qu’il est à l’aise avec cette nouvelle mais qui se demande qui est responsable, sa grand-mère qui pense que c’est un « effet de mode » et s’inquiète un peu… Ce sont des réactions assez réalistes. J’aurais aimé en savoir plus sur ce qu’il se passe après la soirée d’anniversaire et sur la jeune femme que Rita a embrassé (on ne sait même pas son prénom). Au niveau de ses amis, on a seulement la réaction de Dimi, très positive, il l’accepte telle qu’elle est. J’aurais aimé avoir d’autres réactions.

Milena Geneste-Mas

(1) Au début de l’histoire, elle ne sait pas si elle est homosexuelle ou pas mais ce qui est sûr c’est qu’elle n’est pas attirée par les hommes.

 

Quella-Guyot, Didier, La Part des flammes, dessins Wyllow, Philéas, 2022, 136 p. 19€90

Cette bande dessinée est l’adaptation du roman de Gaëlle Nohant paru en 2015. Les salons mondains de la fin du dix-neuvième siècle, ceux-là mêmes que Proust épinglera dans son grand œuvre, sont campés avec plein d’intelligence. Les aristocrates, qui les peuplent, traînent leur inutilité sociale avec leur morgue, la haine du peuple, le mépris des bourgeois qu’ils courtisent pourtant, et une jalousie de classe rancunière. Menacée par la ruine, nombre de membres de cette noblesse recourt au « riche mariage », pour sauver les meubles, pour ne pas perdre la face. Les salons sont les espaces boursiers de paroles et d’échanges des corps, des cœurs réifiés. La bande dessinée nous fait pénétrer au cœur de ces « discours du loisir subventionné par la classe économique » (1).

La trame dramaturgique concentrée par l’adaptation a su conserver l’essentiel de la situation sociale de la classe aristocratique de la fin du dix-neuvième siècle, avec ses différentes stratégies d’inclusion sociale allant de la marginalisation ruineuse à l’intégration à la bourgeoisie financière. Le monde désœuvré des rentiers et des rentières est très bien rendu, ses liens avec l’univers ecclésiastique est souligné. Le snobisme des aristocrates s’enveloppe de religiosité, l’Église rendant service à ses protecteurs d’autrefois. C’est ainsi tout un monde de fausseté, où on se hausse sur les épaules d’aïeux illustres, où on calcule ses cousinages, où on fraye si besoin est avec la bourgeoisie en essor pour y trouver barrage à son effondrement, qui est ainsi représenté. Chez le bourgeois, le noble cherche la convertibilité de son capital symbolique -sa particule- en capital économique. Le mariage est alors un enjeu crucial dans l’échange projeté.

Les œuvres philanthropiques sont un symbole des collusions malsaines de l’aristocratie décadente et de l’ordre religieux en perte de légitimité. La bande dessinée donne à lire des péripéties d’une héroïne prise sous les soubresauts de cette classe qui consume ses derniers feux et qui aura à sortir des griffes de la congrégation religieuse en évitant celles de la dévoration financière de ses parents mêmes.

Philippe Geneste

(1) Zima, Pierre V., L’Ambivalence romanesque. Proust, Kafka, Musil, nouvelle édition revue et augmentée, Paris, L’Harmattan, 2022, 393 p. - p.111

 

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En défense de la liberté d’expression

« Le spectacle Fille ou garçon ? (spectacle musical tout public à partir de 6 ans) créé à l’automne 2022 », à partir du livre paru aux éditions Hygée, est fréquemment la cible de groupuscules traditionnalistes (dont Civitas). C’est le droit à la création artistique et le droit à la liberté d’expression qui sont ainsi mis en cause. Le blog lisezjeunessepg assure les éditions Hygée et 709 Production de sa solidarité et de son soutien.

Rédigé à partir du communiqué reçu le 17/03/2023 de Marion Rouxin.

Aux éditions Hygée

BORDET-PETILLON Sophie, DONNADIEU-RIGOLE Hélène, Le cannabis et (pas) moi, l’essentiel pour m’informer et me protéger, illustrations Clémence LALLEMAND, Hygée éditions, 2022, 48 p. 13€90

Le livre consiste à déconstruire des « idées reçues » en ne se plaçant que du point de la loi, ce qui limite le propos, en lui interdisant une vision historique et anthropologique. En revanche, le livre s’appuie sur la réalité vécue par les collégiens et lycéens, auxquels le livre s’adresse prioritairement. Les élèves, les adolescents et adolescentes peuvent le lire seul ou bien le livre eut servir de support à discussion. La clarté du texte, les variations d’exposition des problématiques et questions, l’efficacité sobre des illustrations, tout concourt à voir figurer le livre dans les rayons des centres de documentation et d’information et les bibliothèques pour la jeunesse.

Commission lisezjeunesse

19/03/2023

De L'esclavage

D’aujourd’hui…

MÉLIN-LECOQ, Laurence, Délivrance, édition Le Muscadier, collection Rester Vivant, septembre 2022, 80 p., 11€50

De 2014 à 2021, le nombre d’enfants et d’adolescentes violées, droguées, séquestrées et soumises à la prostitution forcée a augmenté de 600% (1). Le trafic de jeunes êtres humains est désormais mondial, comme le prouve les atrocités révélées. En 2021, par exemple, un réseau international de proxénétisme fut démantelé. De toutes jeunes femmes et de filles à peine pubères venues, d’Afrique, d’Amérique latine ou d’Europe de l’Est ont subi séquestrations, viols, prostitutions forcées dans le monde des pays riches. Dans leur propre pays, d’autres sont esclaves sous le joug sexuel de leurs compatriotes comme de celui d’étrangers argentés pratiquant le tourisme sexuel. De nombreux réseaux de mises en prostitutions et de traites, c’est-à-dire de ventes et d’achats d’êtres humains, dont un grand nombre d’enfants, avec séquestrations, viols, enrichissent une foultitude de proxénètes. Mais ces faits avérés ne sont qu’une partie visible et minime de l’iceberg de cet immense marché. Les ventes d’enfants, et d’adolescentes, les actes de barbarie, de mises en abattage et prostitution forcée, on le sait, sont toujours d’actualité.

Le roman de Laurence Mélin-Lecoq, Délivrance, s’inspire de cette réalité. Il donne voix à Jasmina, une adolescente de treize ans qui s’adresse, en un long monologue, à une femme inconnue mais à l’écoute attentive. C’est à travers une écriture émouvante et passionnée, que s’entend la voix de cette jeune nigériane à peine sortie de l’enfance, une voix vibrante de colère et de détresse ; c’est le cri et les pleurs souillés de honte, une honte gluante comme de la vase qui étouffe en elle, nous dit-elle, tout autre sentiment.

Cette honte, elle l’a ressentie une première fois devant les yeux baissés de sa mère au moment de ce marché ignoble où, pour un peu d’argent, son père l’a vendue. Profitant de l’extrême pauvreté de sa famille, deux hommes, sous prétexte d’un travail pour elle, ont emmené Jasmina. Travailler, la jeune fille connaît, elle n’est pas réticente à la tâche, ni à aider les siens. Elle est même rassurée de ne pas partir, comme le fit sa grande sœur à son âge, pour se marier avec un inconnu deux fois plus âgé qu’elle.

Mais, au bout du chemin, c’est l’outrage et non un travail qui attend Jasmina. C’est l’horreur d’être séquestrée, droguée, battue, violée, vendue comme esclave sexuelle. Elle devient la compagne de misère d’autres jeunes filles de 12 à 22 ans, enfermées comme elle, et comme elle, livrées à la prostitution. Dans cet enfer, elle se lie d’amitié avec Saïda et Fatima. Elle apprend avec elles à se détacher mentalement de ce que leur font subir les hommes… s’évader en écoutant des voix imaginaires qui viennent chanter dans sa tête, rêver d’un monde étrange en suivant les fissures du plafond. Mais toutes ces échappées seraient impossibles sans la drogue des proxénètes, qui les maintiennent ainsi sous leur joug, celui du pouvoir machiste et celui de l’argent. Tout au long du cheminement des pages, on a mal, on a honte, et on s’inquiète, qu’advient-il en cas de grossesse ?

Mais pourquoi ce titre en couleur lumineuse, Délivrance, pourquoi cette image, en couverture, où se détache sur une page très sombre un ventre de femme enceinte irradiant de beauté et dont l’arrondi parfait semble protéger toutes les promesses du monde ? Il faut lire ce roman, jusqu’au bout, jusqu’au dernier espoir, jusqu’au dernier rêve, jusque dans ces prisons glauques où des criminels s’enrichissent du vol des nouveau-nés des jeunes accouchées.

On le sait bien, ce n’est pas Yasmina, Saïda ni Fatima, ni nous les lectrices et lecteurs sensibles à l’empathie, que la honte doit submerger… Mais à ceux qui s’enrichissent du vol des enfants, de la traite d’êtres humains, de ceux qui s’assouvissent dans la prostitution… Honte à eux, à tous les esclavagistes, à leur monde indigne et pourri !

Merci à Laurence Mélin-Lecoq d’avoir donné voix à Yasmina, une voix qui ne peut qu’émouvoir et sensibiliser les jeunes lectrices et lecteurs à ces états de fait.

Annie Mas

(1) Lire Laurence, revue Casse-rôles hors-série « Prostitution », 2022, 82 p.

 

… à hier.

CORBEYRAN, BAMBUCK, BERLION, FAVRELLE, Pacotille l’enfant esclave. Tome 1 – De l’autre côté de l’océan, Jungle, 2022, 72 p. 14€95

Cette belle œuvre collective conjoint l’apport de la matière historique par Aurélie Bambuck journaliste et documentariste, la réalisation du scénario par Corbeyran, la mise en dessin par Olivier Berlion, enfin la mise en couleurs par Christian Favrelle. Si l’histoire est inventée, une pure fiction, ses éléments sont, en revanche historiquement avérés et soigneusement vérifiés. La bande dessinée qui se présente comme un récit rétrospectif par une grand-mère, arrachée du royaume du Kongo (chevauchant l’Angola, le Gabon et l’actuelle République Démocratique du Congo) à six ans. On est au dix-septième siècle, au moment du commerce triangulaire.

La force de l’album est de projeter une lumière lucide sur le rôle des « courtiers », ces africains qui collaborèrent aux razzias ; il fait découvrir aussi les « engagés », ces français qui, au début de la colonisation des Antilles par la France, appâtés par les promesses du pouvoir royal, rejoignirent la Martinique ou la Guadeloupe, vivant misérablement mais avec l’espoir d’obtenir au bout de trois ans un lopin de terre. Enfin, l’album intègre à l’histoire les caraïbéens, le peuple autochtone qui fut rapidement chassé de ses terres par l’appétit des colonisateurs.

Le tome I raconte donc l’histoire de Pacotille, se centrant sur le parcours de l’enfant devenu une marchandise de peu de valeur aux yeux des possédants usurpateurs. On assiste à une tentative de fuite d’un groupe d’esclaves, dont Pacotille. Trahi par un des siens, l’évasion se finira dans le sang, Pacotille réussissant à fuir grâce à un ami caraïbéen.

Les dessins sont réalistes, luxuriants en détails, transmettant par l’intermédiaire d’un geste, d’un regard, d’un cadrage des émotions au lecteur ou à la lectrice. L’exactitude documentaire, qui a présidé au travail de Berlion, renforce la teneur historique de l’album.

Un dossier pédagogique clôt l’ouvrage, donnant des pistes de réflexions et nombre d’informations utiles soit au jeune lectorat soit à l’enseignant qui peut travailler sur la bande dessinée du CM1 à la classe de cinquième.

Philippe Geneste

12/03/2023

Quand les stéréotypes sociaux mènent à des vies parallèles

LEHMANN Matthias, Une vie en parallèle, traduction de l’allemand Gaïa Maniquant-Rogozyk, Steinkis, 2022, 557 p. 28€

Cette bande dessinée en gris et blanc, jouant du sombre et de la lumière avec progressivité, raconte le cheminement d’existence de Karl King, dans l’après seconde guerre mondiale, en Allemagne. Cette histoire met en scène la transformation qui affecte les personnages et leurs comportements. Une vie en parallèle n’est pas l’histoire d’un homosexuel mais l’histoire du devenir homosexuel de Karl King. En effet, au fil des épisodes, on le voit en proie à l’intériorisation de normes nouvelles valant d’être respectées et suppléant à l’ordre machiste dominant. Après maints échecs Karl King arrive à assumer sa sexualité face aux autres, et c’est pour cela que nous parlons de l’histoire d’un devenir homosexuel. La relation à l’Autre ne peut se réaliser pleinement que dans la franchise du rapport interpersonnel. Mais pour cela, il faudra à Karl King se défaire de l’assujettissement aux normes comportementales socialement régnantes, normes qui le poussent à entretenir des rapports ambivalents, ambigus avec son entourage et ses proches. Et c’est dans la distance de l’Autre (sa fille qui avait rompu avec ses parents), dans la distanciation orchestrée de la lettre écrite à cette Autre que Karl va se ressaisir au sens où il va saisir ce qui lui échappe, en prendre conscience.

Matthias Lehmann use d’un art du décor et des avant-plans. Les cadrages actifs apportent le mouvement à des scènes qui voient le personnage principal souvent immobile. Le parti-pris de proposer des planches entières sans texte se conjugue avec un style graphique pictural au jeu d’à-plats gris, parfois ombrés, qui semblent diluer le trait pur. Le texte des dialogues est réalisé sans ornement mais avec précision, en harmonie avec la simplicité des jours vécus d’un travailleur en proie aux normes et valeurs d’une société patriarcale. Les personnages féminins, sont campés de même, dans la simplicité des vies ordinaires tiraillées par le besoin, l’aspiration au bonheur, et pareillement enfermées par l’ordre social. Si la domination machiste est évoquée, le lectorat est emporté par le flot de contradictions qui assaillent Karl, il partage les affres de ses désirs contrariés.

Le personnage se soucie de paraître ordinaire. Il cherche à se fondre dans la conformité des vies, mais se trouve embrigadé par l’idéologie patriarcale et son corrélat, le culte de la famille. Tous ses efforts pour vivre sans encombre se heurtent à sa vie intérieure et à ses aspirations pour une autre sexualité, pour d’autres formes de tendresse et de bonheur que celles édictées par l’ordre tant juridique que social bourgeois.

Servie par une composition rigoureuse, structurée sur un montage alterné entre planches du présent (années 1980) et planches rétrospectives, la narration est assurée par le personnage qui écrit à sa fille une lettre où il se dit. Et se disant, il s’avoue pleinement l’impasse dans laquelle il a maintenu son existence par conformisme, par peur du quand dira-t-on. Le livre est, d’une certaine façon, l’histoire de cette lettre, l’illustration de sa genèse. Il est aussi un regard tranchant porté sur les relations humaines, au-delà même de la question de l’homosexualité qui n’a cessé d’être punie et proscrite en Allemagne qu’en 1994.

Jusqu’à la dernière planche, que nous lisons symboliquement comme une liberté qui découle de la porte ouverte sur l’enfant attendue, sur le père disparu, le récit maintient une grande tension de lecture. Un chef d’œuvre.

Philippe Geneste

 

GAILLARD Aurelle, Ratures indélébiles, dessinée et mise en couleur par CAMILLE K., Jungle, 2022, 208 p. 16€95

L’histoire d’Aurelle Gaillard est de celles prises sur le vif, nourries par l’intelligence des situations, l’investissement sans faille dans la psychologie de l’adolescence, collant à la langue parlée des 12/15 ans, en épousant aussi les codes de la communication ordinaire. L’histoire est servie par un graphisme direct, très fanzine, principalement en plans rapprochés et moyens qui permettent aux jeunes lectrices et lecteurs d’entrer de plain-pied dans le récit.

Ratures indélébiles conte l’histoire de Juliette, une élève de quatrième au milieu de son cercle d’amies, de ses rêves d’amour, qu’elle confie à des réseaux sociaux. Sa mère, qui élève seule ses deux enfants, est très accaparée par son travail de nuit à l’hôpital. Puis, un jour, au gré des relations changeantes qui font et défont les amitiés, Juliette se retrouve seule, délaissée par sa meilleure amie. Victime de la jalousie et de la violence d’une nouvelle venue, bouc-émissaire de ses moqueries, elle est à son insu prise en photo dans les vestiaires, la poitrine nue. À sa grande honte, cette photo circule sur les réseaux sociaux avec nombre de commentaires orduriers ; la bande dessinée suit alors la descente aux enfers de l’adolescente. Exclue du groupe de sa classe, humiliée, violentée verbalement et parfois physiquement, Juliette se réfugie dans le mutisme et l’effacement de son être. Son regard autrefois rieur et vif s’est assombri de nuances tristes. Tout au fond de sa solitude, dans l’espace fermé de sa salle de bain, Juliette, de plus en plus souvent, tente d’effacer les outrages infligés par le groupe en se faisant elle-même plus mal encore, comme autant d’essais pour consoler son esprit meurtri en se blessant, en maltraitant son corps Ce n’est que lorsque sa mère, alertée par des résultats scolaires en chute libre, découvre que Juliette se scarifie que l’histoire prend une nouvelle tournure. Soutenue par elle et deux de ses copines extérieures à la classe, Juliette va affronter la honte et la transformer en leçon de vie pour surmonter la violence de ses harceleuses et harceleurs et s’en affranchir.

Les dessins de Camille K., si joliment habillés de mauve et de rose dont raffolent tant les toutes jeunes filles. Ces couleurs tendres et girly, épousent avec une grande fraîcheur l’histoire de Juliette, en ce début de quatrième où comme elle, nombre de lectrices n’ont pas encore eu leurs règles, où comme elle, on pense avoir une amie pour la vie, où comme elle on a des questions, des rêves, des pensées qui nous dépassent, où comme elle on peut être le jouet de médisance, de moquerie, et de violence.

Vraiment bien documenté sans pour autant contenir les travers du didactisme, la bande dessinée de chez Jungle est une réussite que tous les Centres de Documentation et d’Information auront à cœur de mettre à la disposition des collégiens comme les Bibliothèques l’intégreront avec intérêt dans leurs rayons. Les parents aussi offriront cet ouvrage, qu’ils liront eux-aussi avec le plus grand bénéfice tant la vie des préadolescentes et préadolescents est bien saisie et contée.

Annie Mas & Philippe Geneste

NB : sur le harcèlement, voir les chroniques de Milena Geneste Mas et Annie Mas (3/4/16 - 48/19 – 6/10/19 – 12/5/19 – 11/7/21)

 

GALLISSOT Romain, Le Petit Livre pour bien vivre avec les écrans, illustrations d’Océane MEKLEMBERG, Bayard, 2022, 40 p. 9€90

Le livre s’adresse aux enfants de 7 (à condition d’être accompagnés) à 13 ans, mais aussi aux parents. Le livre est axé sur la pratique de la communication avec le portable, entre copains et copines, entre enfants et parents. On y trouve des informations sur les pièges (vidéos ou publicités, vraies et fausses informations, comment contracte-t-on une addiction à l’écran etc.), des conseils pratiques (protection de sa vie privée ou intime, de son identité, sur son utilisation en société et dans la sphère privée, sur le rapport à l’environnement (partie faible du livre qui ne veut pas heurter ses lecteurs et lectrices sûrement). Deux chapitres s’essaient à la prospective et un lexique succinct clôt le volume. La commission a somme toute apprécié ce petit livre car il est très lisible, à dimension pratique.

Commission lisezjeunesse

07/03/2023

Trouvailles pour un éloge de la lecture


DOHERTY Kathleen, Le Machin trop bien, illustrations de Kristyna LITTEN, Bayard, 2022, 38 p. 11€90


Farfelu, fantaisiste, impertinent, drôle, « trop bien cet album » a dit Claire de la commission Lisez jeunesse. Des illustrations pleine page aux couleurs sombres -l’histoire se passe presque exclusivement de nuit- avec des éclairages artificiels motivés par les situations, foisonnent en détails pour accompagner un texte qui explore la richesse onomatopéique du langage verbal humain. Le héros est un ourson hyperactif, bien trop hyperactif pour Lapine, Blaireau ou Renard. Et quelle ingéniosité pour représenter l’Engin à Pédales, le Bidule à Poulie, le Truc à Roulettes, bref, le Machin Trop Bien. On admire Kristyna Litten ! Quant au texte, il est sobre, mais pas simpliste, enlevé, alternant narration et dialogues pour le plus grand bonheur des enfants à qui on le lit ou des enfants qui le lisent eux-mêmes.


CORNWALL Gaia, Vas-y Jabari ! traduction de l’américain par Christine Duchesne, éditions d2eux, 2022, 32 p. 18€

Voici un album qui fait l’éloge du bricolage, de l’invention enfantine, tout en prenant soin de ne pas méconnaître la réalité de la vie. Le héros, Jabari, un enfant noir de sept ou neuf ans, a décidé de créer un engin volant. Mais comment va-t-il voler ? Le livre est le patient cheminement de l’invention jusqu’à la trouvaille finale où Jabari aidé de sa toute petite sœur et de la complicité attentive de son papa, jubile. Entre temps, Jabari sera passé de l’exubérance à la joie, de la tristesse au désespoir, du découragement à l’espoir. Il aura su se défaire de son égoïsme pour partager sa quête avec sa petite sœur, il aura su demander quelques conseils que le père délivre mais parcimonieusement afin de ne pas empiéter sur le cheminement créatif de son fils. Le dessin de Gaia Cornwall est réaliste visant l’efficacité. Les personnages sont vus principalement en plan rapproché et en plan moyen, mais à chaque fois afin que les lecteurs prennent connaissance de l’expression des émotions de Jabari. L’humour ne manque pas et la commission lisez jeunesse a apprécié.

 

FOUQUET Isaure, Miko. Mila. Un jardin extraordinaire, éditions du ricochet 2022, 28 p. 10€


Ce petit album rectangulaire, format italien, surprend avec l’usage abondant de points blancs sur fond noir, les deux personnages s’opposant aussi selon le principe du Yin et du Yang, du noir et du blanc. L’album est didactique qui invite les enfants à trier les détritus. Isaure Fouquet emprunte à Dubuffet comme à Yayoi Kusama la figuration de sculptures formant certains des décors. La dominante géométrique du dessin tire l’album vers l’abstraction, aussi, on offrira préférentiellement le livre aux premiers lecteurs et premières lectrices, à partir de 7 ou 8 ans.

 

GOES Peter, Histoire des inventions, Milan, 2021, 80 p. 19€90 

Ce livre de grand format propose une fresque des inventions au cours du temps. Entre science préhistorique, anthropologie, ethnologie, géographie et histoire, le livre brosse un panorama intercontinental qui s’apparente à une histoire des civilisations, rappelant ainsi que parler des inventions, ce n’est pas comprendre un homme ou une femme, mais une époque qui en permet l’œuvre. L’auteur pousse jusqu’en 2009, intégrant ainsi la révolution numérique mais aussi les enjeux climatiques et de survie de la planète assassinée par un mode économique et un mode de vie des humains qui l’exploitent. Les illustrations sont foisonnantes, permettant à l’enfant de pérégriner sur les pages, sans ordre préétabli. Il peut aussi piocher au gré de ses intérêts dans telle ou telle période historique ou telle ou telle ère préhistorique. Il s’agit donc d’une encyclopédie visuelle dessinée en couleur à portée du jeune lectorat dès 8/9 ans.


Eloge de la lecture


KAARIO Victoria, Le Pire Noël de ma vie, illustrations Juliette BINET, éditions du ricochet, 2022, 48 p. 16€


La composition rigoureuse s’ancre sur six doubles-pages entre espoir d’un désir réalisé et déception pour les personnages. Les dessins de Juliette Binet alternent réalisme et abstraction, intensifiant la surprise du jeune lectorat de 4 à 10 ans qui saisit la dimension humoristique et s’y laisse porter dans l’attente de savoir où mènent ces juxtapositions de scènes.

La simplicité de la situation se complique toutefois lorsqu’après un récit sommaire, récapitulant les six scènes, intervient la mémoire des personnages enfantins. Eux aussi ont fêté Noël, eux aussi ont parfois pu être déçus par des cadeaux. Alors, quel thème privilégier dans cet album aux fins dessins : la déception ? Le dépassement de la déception ? L’attachement aux objets ? La préférence donnée à l’invention à partir de ce qu’on a ? Son désir ? La relation aux autres ? Le cadeau ? Le geste d’offrir ? À toi lectrice, à toi lecteur de le décider et bonne lecture…

Philippe Geneste& la commission Lisezjeunesse