KEITA-KOUYATE Mallon, La Courge qui parlait. Contes de Haute-Guinée, préface de Bahna Sidibé, L’Harmattan, 2023, 137 p. 15€
Trois
contes sont rassemblés ici : La Courge qui parlait, qui donne son
titre au livre, La Pierre et Le Plus Grand Amour du monde. Ces
trois contes sont des réécritures de contes traditionnels. L’autrice a choisi
de les rendre actuels et lisibles pour des enfants lecteurs, adolescents et
adultes. Chacun d’eux couvre en moyenne quarante pages. Leur structure respecte
celle décrite par la morphologie du conte de Vladimir Propp. Comme toujours
avec les contes africains, la morale est explicitée, ici au cours du récit.
Nous nous arrêterons sur La Courge qui parlait, qui est une
grande réussite, sachant tenir en haleine le lecteur ou la lectrice.
Ce
conte repose sur l’animisme, la courge est un personnage, certes du domaine du
merveilleux, mais elle mange, parle, bref semble presque humaine. Elle
s’installe dans le village de Mariama, la petite fille qui l’a trouvée. La
courge recherche quelque chose d’extraordinaire et ce qu’elle va trouver c’est
la gentillesse, la générosité et un trésor de patience. C’est l’enfant qu’elle
a mis à l’épreuve qui les lui offre sans le savoir, juste par son attention
portée à la relation humaine ou plutôt à la relation avec le vivant.
La
courge est certes née d’une métamorphose, elle disparaîtra comme elle est
apparue. Mais le conte de fée le permet qui ne disjoint pas la vraisemblance de
l’histoire, tout simplement parce qu’il s’appuie sur l’animisme. Or, les
enfants de 7 à 12 ans aiment ce type d’histoire qui correspond à bien des
égards à leur mentalisme propre. La courge n’est pas tout à fait une personne
– le conte ne repose donc que partiellement sur une personnification de la
courge –, en revanche, comme la mentalité enfantine le ferait, le conte
lui prête des intentions et une volonté qui a pour origine une loi morale.
Mariama, par son attitude d’empathie toute humaine, cherche à comprendre les
caractères, les sentiments, que la courge projette par ses discours au
cœur du village. En cela, elle est très différente de sa mère qui dit :
« J’ai toujours eu pour règle de me méfier de ce que je ne comprenais
pas » (p.46).
La
résolution du conte tient donc à la vertu de la réciprocité empathique. La courge,
qui confiera son émerveillement à Mariama à la fin du conte, l’invitera, aussi,
à se situer objectivement parmi les autres. Quant à savoir ce qu’était la
courge avant sa métamorphose, c’est une autre histoire…
Rien
que pour ce conte, très bien écrit, composé avec une précision horlogère,
parfaitement en phase avec la mentalité enfantine des jeunes lecteurs et
lectrices, Un petit chef d’œuvre à ne pas manquer.
DAUGEY
Fleur, Plantes intrépides. Cinq contes pour jeunes pousses,
illustrations de Chloé du COLOMBIER, éditions du ricochet, 2023, 46 p. 17€
Belle
idée de rassembler des contes ayant pour point commun une question d’origine,
mais à travers une plante comme héroïne principale. On lira ces contes aux
enfants non lecteurs, on les offrira aux lectrices et lecteurs débutants.
Jusqu’à 7 ans, la question relative à la naissance des enfants ne porte pas sur
le comment mais sur où : d’où vient le bébé ? Comme
l’observait Jean Piaget dans ses multiples travaux d’analyse de la conception
enfantine du monde, les autres questions portant sur l’origine des astres, des
nuages, des montagnes etc. découlent de cette première question sur la
naissance.
Comment
le manioc vint aux hommes, inspiré d’un mythe de Madagascar,
illustre la mentalité enfantine mêlant animisme et artificialisme. L’animisme
est redoublé dans l’album par le fait que ce sont les plantes qui racontent
l’histoire : tout est vivant pour l’enfant, tout, pour lui, a une
conscience et pousse par sa propre énergie. Le conte écrit par Fleur Daugey est
en convenance avec ce que décrivait Piaget parlant de l’« évolution des
mythes relatifs à l’origine de l’homme, dans le sens de l’artificialisme de
plus en plus immanent , c’est-à-dire prêté à la nature elle-même » [1].
Dans
Momotaro, l’enfant-pêche, inspiré d’un conte japonais, la
naissance de l’enfant est provoquée par le pêcheur qui coupe la pêche dans
laquelle il se trouve.
Dans
le conte bulgare, La Fraxinelle de l’espace, le peuple androgyne
de l’espace se retirera de la Terre, son terrain de jeu, pour laisser prospérer
l’espèce humaine. Mais il prendra soin de laisser sur la planète la fraxinelle
pour soigner les malades : la fleur n’existe que pour les humains, selon
un finalisme convenant avec la mentalité des enfants qui, comme les
extraterrestres du conte, considèrent la Terre en tant qu’entité vivante
(« Nous t’offrons ce cadeau, à toi et aux hommes : Fraxinelle »).
De
même, dans Comment le pin blanc scella la paix, conte de
coloration amérindienne, le pin déclare : « ma mission était simplement
d’apporter la paix chez les iroquoiens des États-Unis et du Canada, des
premières nations qui se faisaient la guerre depuis si longtemps qu’elles ne
savaient plus pourquoi ». On retrouve bien le finalisme adossé à
l’animisme et à l’artificialisme. Ce qui dans le conte japonais était dévolu à
la pêche l’est ici par la pomme de pin.
Dans
Pastèque, fille du dragon, provenant d’Iran, ou plus précisément
de Perse, l’histoire raconte l’origine de la pastèque, avec, au fondement de sa
création, la fonction de plaire aux hommes.
Il
faut bien louer cet album respectueux de la mentalité enfantine, de 3 à 8 ans,
qui fait aussi voyager et qui porte un message contre la guerre et en faveur de
l’amour de la terre.
Plantes
intrépides. Cinq contes pour jeunes pousses, et La
Courge qui parlait. Contes de Haute-Guinée sont à offrir, à proposer
aux enfants. Les bibliothèques auront à cœur d’en enrichir leurs rayonnages. De
plus, ces deux livres, si respectueux de la mentalité enfantine permettront à
leurs jeunes lectrices et lecteurs, de découvrir que l’imaginaire fait fi des
frontières…
Philippe Geneste