GHARTRAND Lili & ARBONA Marion, Mon
étrange famille, éditions d2eux, 2021, 32 p. 15€
Dès l’abord, le livre est attirant, avec
sa couverture en toile estampée qui suggère un univers étrange, où peur et
comique interfèrent. On sait que la monstruosité attire, soit en cherchant la
fascination du lectorat soit en cherchant un élargissement et même une
libération de l’imaginaire. Mon étrange famille appartient au
second type.
Le travail du dessin, à la plume et au
crayon de bois, tire le vivant vers le mécanique et l’androïdie. Le travail des
dégradés de couleur conforte l’évitement des couleurs vives, assure l’impact du
mat contre le brillant tape à l’œil, et vient ainsi redoubler le texte en le
transgressant. Le visuel, pour autant, ne restreint pas l’imaginaire que
sollicite autrement le texte. Les membres de la famille de Philémon sont des monstres,
au sens littéral de ce qui attire par sa non-normalité de stature, de
constitution.
Conformément à tous les monstres, les
membres de la famille sont institués comme une donnée de fiction. Leur passé
échappe tout autant que leur originels s’avèrent être les héritiers du monstrum chrétien (1). Ils sont des
« extraordinaires originels »
(2). Les personnages de Mon étrange famille
brouillent les frontières entre le physique et le moral, mettent en scène
des angoisses autant que des normes sociales.
Dans l’ouvrage de Chartrand et Arbona,
le monstre innové reste en dehors des problèmes sociaux qui agitent, pourtant,
les rapports humains. En revanche, et c’est différent de la tradition de la
thématique du monstrueux en littérature de jeunesse, l’album n’oppose pas le
Bien au Mal, le Bon au Méchant. C’est que les autrices renvoient plutôt à sa
source robotisée, mécanisée. Là sont décrits des désirs égoïstes,
individualistes. Toutefois, et c’est à nouveau un pas de côté de la figure
normée du monstre en littérature de jeunesse, l’album suggère une transposition
« aux familles singulières, bizarres, originales, ébouriffantes,
saugrenues, excentriques, insolites, étonnantes, abracadabrantes et… étranges.
Accepter l’étrangeté donc l’étranger, voilà un discours parallèle aux
descriptions littérales des figures monstrueuses de la famille de Philémon.
Les personnages ne renvoient pas au réel
mais à des représentations métaphoriques du réel qui sont impertinentes mais
aussi suggestives. Et un des pouvoirs du livre est de battre en brèche l’idéal,
peu à peu imposé, de la conformité généalogique et de la dictature de
l’hérédité que les poussées eugéniques contemporaines d’une science sans
conscience sont en passe d’imposer comme norme et modèle de la transmission. Mon étrange famille déclare à l’inverse
la jubilation qui naît de l’indéfinition permanente. La filiation dans les
sociétés humaines est une construction, une affaire de culture et non de
déterminisme scientifique où du même est reproduit à l’identique. Chartrand et
Arbona soulèvent le rire et le désir de franchir les normes en montrant que
l’air de famille des parents, frères, sœurs, oncles, cousins… de Philémon ne
relèvent ni de la génétique ni de l’anthropométrie mais de correspondances
suggérées par Philémon, le narrateur. Mon étrange famille
demande, au fond, à l’enfant, d’être disponible à l’indéterminé, à la
perméabilité, à la rencontre de l’autre que soi pour mieux se connaître. Un
livre où l’impertinence et l’humour du dessin et du texte qui bavardent
ensemble accomplissent, dans le plaisir du voir et du lire, une poésie éthique
pour notre contemporanéité.
(1)
Voir Tort Patrick, L’ordre et les monstres. Le débat sur l’origine des déviations
anatomiques au XVIIIe siècle, Le Sycomore, 1980 - (2) ibid.
LALLEMAND Orianne LE
TOUZE Anne-Isabelle, Le Petit Monsieur, Glénat jeunesse, 2021,
32 p. 11€
Une histoire en bord de
mer, une histoire de solitude et de multitude, une histoire sur le bien-être
personnel et son rapport avec la relation à autrui, une histoire sur
l’altérité : voilà ce qui définirait Petit Monsieur. L’album
s’adresse aux 5 8 ou 9 ans. Le dessin est tourné vers le réalisme même si la
fiction est à la fois animalière et d’humaine contemporanéité.
Un vieil homme, lors de
l’arrivée d’étrangers dans le village, se propose, malgré sa méfiance première,
pour héberger une famille. La vie s’organise, le vieux monsieur se lie avec
chacun des nouveaux venus dont un enfant qui le suit dans ses promenades. Et
puis, peu à peu, la vie commune s’installe, chacun apporte aux autres, le vieux
monsieur découvrant des plats inconnus, trouvant une aide pour réparer ses
trains électriques. La vie se métisse, l’humanité triomphe jusqu’au jour où la
famille se voit proposer un logement par la mairie.
Ce
bel album s’inscrit dans les débats contemporains et défend l’accueil, la
solidarité contre l’individualisme.
Didier
JEAN & ZAD, ALBON Lucie, Ezima ou le jeu des trois sauts,
illustration Utopique, 2020, 44 p. 10€
Voici
une très grande réussite de la collection Alterégaux de chez Utopique.
Une jeune fille, Sybille, rencontre Ezyma, une réfugiée juste arrivée dans le
quartier avec sa famille. Les deux enfants s’entendent bien et jouent ensemble.
Mais tout change avec la rentrée des classes : la jeune étrangère avec son
fort accent, avec sa différence, n’est pas appréciée par les élèves. Pour ne
pas se couper de ses copines et copains, Sybille tourne le dos à Ezyma.
Celle-ci se retrouve seule jusqu’au jour où des membres de la classe l’accusent
d’avoir volé le pullover de Sybille. Celle-ci comprend alors les conséquences
de son attitude et prend la défense d’Ezyma. Les deux jeunes filles, redevenues
amies, jouent alors au jeu des trois sauts, jeu d’Ezyma. Au fil des jours,
d’autres élèves se joignent à elles et l’ostracisme envers l’étrangère est
vaincu. Mais le logement de la famille Ezyma était temporaire et au retour des
grandes vacances, Sybille a perdu son amie. C’est une histoire d’une grande
simplicité tant au niveau de la composition que de l’écriture, et qui touche
les jeunes lecteurs et lectrices. De plus, aucune morale, aucun pensum
citoyenniste ne vient faire écran à la réalité de la xénophobie, tout en
restant à hauteur d’enfant.
Tamburini Isabelle, Assirini, petite esclave en
France, L’Harmattan jeunesse, 2013, 100 p. 11€50
Le
point de départ du livre est la guerre du Rwanda, en 1994, que fuit la jeune
enfant Assireni. Durant son exil, sa mère la confie à une riche famille de
colons blancs, français, travaillant dans le secteur minier du Burundi :
« Pierre Dureton avait la conviction
de faire dans l’humanitaire : tous ces gens [valets de chambre,
chauffeurs, cuisiniers, femmes de ménage, jardiniers et gardes employés pour le
service de sa famille] il leur permettait
de vivre alors que la guerre civile faisait ses ravages, contaminant le Burundi
après le Rwanda » (p.10). A cause de la guerre, cette famille retourne
en France et c’est dans leur appartement parisien que va vivre Assireni. Elle
ne va pas à l’école, devient Astrid et s’occupe des tâches ménagères. Elle
vit recluse chez les Dureton : « vivre
et travailler, tout était sur le même plan » (p.38). C’est là le meilleur
du roman. Après, l’autrice imagine une fin heureuse qui contrairement au début
de l’histoire vient glorifier une forme de charité humanitaire. C’est dommage.
On retrouve tradition de fin euphorique, trace du didactisme moralisateur
conservateur qui maintint longtemps son emprise sur le secteur jeunesse de la
littérature. On le regrettera car la composition du livre est intéressante, par
ailleurs, et la première moitié du roman ouverte au questionnement des
thématiques de l’humanitaire et celle de la charité qui jouxte la première.
Geneste
Philippe