SIMARD Éric, illustrations de GOURRAT Carole La femme noire qui refusa de se soumettre, Rosa Parks, oskar éditeur, 2016, 57 pages.
Le narrateur de ce roman est bien inattendu : c’est le sourire d’une
femme, Rosa Parks, qui va nous en révéler la vie. C’est ce sourire qui va
accompagner la lecture, la rendant plus sensible, plus attirante aux pré-adolescentes
ou pré-adolescents auxquels le livre est destiné. Cette touche de tendresse est
soulignée par les illustrations de Carole Gourrat qui charment avec leur côté
rétro, un peu années soixante.
Rosa Parks, est née le 4 février 1913 à Tuskegee, petit village d’un État
du sud des USA, l’Alabama. Ses parents, sa famille, appartenait à la communauté
Afro-américaine qui descendait des africains, hommes, femmes et enfants enlevés
à leur pays. Après les traversées meurtrières de l’océan Atlantique, les survivants
furent vendus comme esclaves à de riches exploiteurs blancs, venus coloniser
les terres ancestrales des Amérindiens que l’armée américaine massacra. Avec
une grande tristesse, le sourire de Rosa nous explique le rapt des Africains,
leur traite, leur esclavage, qui dura plus de trois cent ans.
En 1865, une cinquantaine d’année avant la naissance de Rosa, fut
déclarée l’abolition de l’esclavage et en 1868 les Afro-Américains devinrent
officiellement citoyens américains… mais citoyens de seconde zone. En effet,
dans les États du sud, le racisme contre les personnes de couleur persistait
encore, violent, meurtrier. La ségrégation raciale, au profit de la population
blanche, sévissait : par exemple, les enfants n’allaient pas dans les
mêmes écoles, et celles des enfants blancs, payées aussi par les impôts de la
communauté Afro-Américaine, offraient des conditions d’enseignement et de
confort que ne possédaient pas les enfants de couleur qui, de plus, aidaient
leurs familles aux travaux des champs. Ce racisme, cette ségrégation, Rosa les
appréhenda dès sa petite enfance. Après la séparation de ses parents, elle
vécut avec sa mère et son petit frère Sylvester chez ses grands-parents
maternels. Ils vivaient là sous les menaces du Ku Klux Klan constitué d’extrémistes
et racistes Blancs. Ce mouvement, très prolifique dans les États du Sud, était
coupable d’exactions, de lynchages et de crimes contre les Noirs. Le sourire de
Rosa nous raconte que, pourtant petite fille timide et de santé fragile, elle
ne supportait pas l’arrogance et les humiliations de certains enfants Blancs.
Ainsi défendit-elle avec courage son petit frère victime de leurs actes
violents, et le fit au risque d’être lynchée, comme l’avait prévenue sa
grand-mère.
Rosa, ayant grandi, partit poursuivre ses études dans la ville de
Montgomery, ville principale de l’Alabama où elle se confronta aux mêmes
exactions racistes. La ségrégation y était prégnante dans tous les lieux
publics, même, nous dit notre narrateur ironique, dans les cimetières. Rosa était
de plus en plus rebelle à cette situation injuste et humiliante. Elle fit face
dès son adolescence à maintes exactions de la part de jeunes blancs. Ses études
terminées, elle devint aide-soignante, couturière, secrétaire. Elle épousa à 19
ans Raymond Parks, militant pour les droits civiques des Afro-Américains. Ils
partageaient les mêmes idées, recherchaient pareillement les moyens de libérer
les personnes de couleur du racisme et de l’oppression exercés par le
gouvernement et certains Blancs. Ainsi Rosa, ayant assisté en 1943 à une
réunion de l’Association Nationale pour l’Avancement des Gens de Couleur, la
NAACP, en devint la secrétaire bénévole. Pour ses activités militantes et pour
son travail, elle empruntait, comme la majorité des Afro-Américains, les
transports en commun. Or la ségrégation sévissait aussi dans les bus et les
personnes de couleur devaient quitter les places de devant pour permettre à un
Blanc de s’y asseoir à son arrivée. Certains conducteurs de bus, en chien de
garde du racisme, étaient particulièrement virulents. Ainsi le fut, le premier
décembre 1955, le conducteur qui menaça Rosa devant son refus de céder sa place
à un Blanc. Le sourire de Rosa entendait son cœur battre comme au rythme d’un
blues. Malgré la peur, l’humiliation, il s’épanouissait, reflet des voix si
belles qui s’arrachaient de l’esclavage. Après maintes invectives et
intimidations, ce chauffeur appela la police… Telle que, sur la page de
couverture, on la voit dessinée par Carole Gourrat, Rosa encadrée par deux flics,
fut arrêtée et conduite en prison pour ne pas avoir cédé sa place à un Blanc.
Libérée sous caution, elle dut passer en jugement le lundi suivant ; ce
procès la condamna à payer une amende très lourde. Cependant la communauté
Afro-Américaine de Montgomery, révoltée par ces lois injustes et cette
ségrégation humiliante, lui apporta, dès le début, son soutien indéfectible. Un
jeune pasteur de 26 ans, Martin Luther King, suscita alors un mouvement de
grande ampleur, constitué d’actions non-violentes. Ainsi le boycott des bus
fut-il instauré.
Dès les premiers jours suivant l’arrestation de Rosa, la population
Afro-américaine de Montgomery déserta les bus de la ville, et parcourut de
nombreux kilomètres à pied, en vélo, pour aller au travail. Des taxis, au prix d’un
trajet en bus, conduisirent tous les gens de couleur à leurs diverses
destinations. Un grand mouvement de solidarité permit au boycott de perdurer,
et trente mille personnes ont pu être transportées chaque jour, au grand dam
des autorités blanches, de la police, des compagnies de bus et du grand
commerce des Blancs fortunés. Ne pouvant vaincre ce soulèvement populaire, la
Cour Suprême des USA, le 13 novembre 1956, mit fin à la ségrégation dans les
transports en commun ; le 20 décembre 1956, à Montgomery, la communauté
noire remonta dans les bus, après plus d’une année de boycott. Cependant nombre
de personnes noires perdirent leur emploi et la répression fut rude. Certains
Blancs extrémistes dynamitèrent des maisons, dont celle de Martin Luther King. Des
personnes, dont Rosa, furent accusés d’avoir fomenté le mouvement.
Face aux menaces des Blancs, Rosa accompagnée de sa mère et de son mari,
quitta Montgomery pour s’installer à Détroit, ville du nord des USA. Elle put
continuer librement son militantisme pour la cause des Afro-Américains. Très
proche des idées de Martin Luther King et de ses convictions sur le bienfondé
de la non-violence, c’est avec une grande peine qu’elle apprit la mort de cet
homme de paix, assassiné à l’âge de trente-huit ans, le 4 avril 1968. Tout le
long de sa vie, jusqu’à son ultime vieillesse, le sourire de Rosa l’accompagna
dans sa quête et ses actions pour un monde plus juste et plus humain.
L’ouvrage se termine par des documents explicatifs : une page de
vocabulaire pouvant aider les jeunes lecteurs et lectrices de onze à treize ans
à comprendre certains mots inconnus, page suivie d’une fresque historique de
l’Antiquité à 2002, année de la mise en circulation de l’Euro, puis d’un petit
documentaire sur les années 1950 et 1960 aux USA avec des présentations courtes
de certains visages marquants de l’époque comme Martin Luther King, Malcom X,
Ella Fitzgerald, Louis Armstrong.
Ce livre offre une lecture très émouvante et très claire de la vie de
Rosa Parks qui lutta dans un esprit de non-violence, pour la dignité et les
droits de la communauté Afro-Américaine, longtemps humiliée et agressée par
l’oppression de Blancs racistes et jaloux de leurs pouvoirs et privilèges. Ce
bel ouvrage est à recommander aux CDI des collèges, dans les bibliothèques ou
les médiathèques. Il est à présenter et à offrir aux jeunes lectrices et jeunes
lecteurs dès l’âge de onze ans.
SIMARD Éric, ROSA PARKS, la femme qui a changé
l’Amérique, oskar éditeur, collection « Elles ont osé », 2020, 130 pages,
13, 95 €
Ce nouvel ouvrage tissé par la belle écriture d’Éric Simard, et consacré
à Rosa Parks, offre par son érudition des connaissances très fournies sur la
vie, l’engagement de non-violence, les luttes contre le racisme et contre
l’oppression subis par les Afro-Américains de celle que l’on surnomma « Mère
du mouvement des droits civiques ».
Nous apprenons ainsi les origines de Rosa Parks descendante, comme nombre
de sa communauté, d’Africains enlevés à leur pays d’origine et soumis à
l’esclavage par de riches colons de l’Amérique blanche… un trafic humain qui
dura plus de trois siècles. Mais ses origines étaient faites aussi de
métissage : par un aïeul très pauvre venu d’Europe et payant, toute sa
vie, le lourd tribu de sa traversée de l’Atlantique au propriétaire qui
l’exploitait, par une amérindienne devenue esclave, ou la relation d’un Blanc
et d’une femme de couleur soumise à l’esclavage… Au temps de la naissance de
Rosa, en 1913 et cinquante ans après l’abolition de l’esclavage aux USA, les
relations sexuelles entre populations Noire et Blanche étaient interdites,
passibles, seulement pour les Afro-Américains, de la peine de mort.
L’auteur nous explique très clairement comment la ségrégation et le
racisme contre la communauté des gens de couleur ont perduré, malgré
l’abolition de l’esclavage en 1865, malgré en 1868 et 1870 les quatorzième et
quinzième amendements mettant en place les droits civiques, sous l’opposition
les États du Sud qui conduisit en 1896 l’arrêt Plessis v. Ferguson
favorisant la ségrégation raciale.
Sous la plume de l’auteur, la vie de Rosa Parks et la conquête des
personnes de couleur contre l’oppression et le racisme au Sud des U.S.A sont
étroitement mêlés. Tous ces évènement si joliment racontés par le sourire de
Rosa dans le livre précédent – son enfance marquée par les crimes du Ku
Klux Klan, l’injustice subie par les Noirs tout au long de leur vie, sa
rencontre avec un jeune militant, son entrée dans la NAACP œuvrant pour la
cause des Afro-Américains, son refus en 1955 de céder sa place de bus à un
Blanc et de céder à l’injonction humiliante, le Boycott qui suivit le procès,
le soutien de toute la population de couleur de Montgomery, son engagement pour
la non-violence aux côtés de Martin Luther King, la violence de la répression
qui s’ensuivit… –, l’auteur les met dans une perspective
historique qui explique comment les prémisses de ce boycott fit craqueler les
lois iniques. Il rend hommage à Claudette Colvin, Mary Louise Smith, Susie Mc
Donald, Aurélia Browder, il rappelle le soulèvement de 1953 en Louisiane des
Afro-Américains, tout cela sous l’oppression raciste d’une justice criminelle
qui fit condamner, maintes fois, de jeunes Noirs malgré leur innocence
clairement prouvée. Il dit aussi l’action militante de Rosa Parks tout au long de
sa vie pour sauvegarder cette victoire si fragile, menacée aujourd’hui encore
par des actions criminelles.
Le blog lisezjeunessepg du 15 septembre 2019 a présenté le livre
d’Éric Simard, Rosa Parks,
contre le racisme, s’adressant
aux enfants de 8 à 10 ans. La narratrice est Rosa elle-même, Rosa petite fille
puis Rosa jeune fille et Rosa militante, ce qui permet une identification ou un
lien étroit pour les jeunes lecteurs et lectrices. Ainsi, Éric Simard,
propose-t-il une trilogie biographique qui s’adresse à trois tranches d’âge
différentes : à ce livre pour les 8/10 ans, s’ajoutent La femme Noire qui refusa de se
soumettre, Rosa Parks pour les
11/13 ans, et Rosa Parks, la
femme qui a changé l’Amérique
destiné aux 14/16 ans. Mais pourquoi ne pas suivre le conseil des éditions oskar, d’ouvrages à lire de 8 à 111 ans.
Annie Mas
EHRET Marie-Florence, Angela Davis éternelle
insoumise, oskar éditeur, 2022, 139 p. 12€95
Ouvrage
remarquable que cette biographie destinée aux lectrices et lecteurs de
l’adolescence jusqu’à l’âge sans fin. Marie-Florence Ehret réussit à romancer
la vie d’Angela Davis (1944-) sans édulcorer ses engagements et, surtout, sans
tomber dans les travaux de l’écriture émotive qui affadit tant de biographies
de personnages engagés, de femmes militantes. Si l’ouvrage couvre sa vie des
années d’enfance à aujourd’hui, elle se consacre surtout sur la fin des années
soixante, le début des années soixante-dix et en particulier, l’année 1970.
Marie-Florence
Ehret situe parfaitement la conception d’Angela Davis du combat en faveur des
gens de couleur dans sa différence avec d’autres courants, alliés ou éloignés
mais côtoyés. Elle met en lumière le lien fait par Angela Davis entre les
combats antiraciste et féministe avec leur ancrage commun dans la lutte des
classes. Le combat social subsume les autres combats, leur donne leur sens
intégral. La force de la biographie est non pas de juxtaposer des prises de position
d’Angela Davis en un le florilège des combats menés mais de mener à la
compréhension des choix militants qui se sont imposés à elle par la réflexion
sur les événements qui l’ont façonnée.
Ainsi,
la biographie signée par Marie-Florence Ehret ouvre la réflexion, dépeignant
avec précision l’anticommunisme viscéral de l’État américain, intrinsèquement
lié à ses conceptions eugénistes et discriminatoires des minorités (gens de
couleur, ouvriers et ouvrières syndicalistes, homosexuels etc.) allant jusqu’à
la sélection reproductive à l’égard des « dysgéniques »
« indésirables » qui constituent le socle du totalitarisme américain,
un totalitarisme qui a été massivement exporté en Europe avec l’antisémitisme
d’Henri Ford, dès le début du vingtième siècle… et dont on a pu mesurer les
conséquences avec le fascisme et le nazisme (1)… En ce sens Angela Davis,
éternelle insoumise apporte une contribution à qui veut comprendre le
monde contemporain. De plus, le livre éclaire d’un jour historique et
politique, le mouvement du Black Lives Matter constitué dès 2013, les émeutes
qui ont suivi les assassinats par des policiers d’Eric Garner, de Georges Floyd
etc. Permettre de comprendre le monde qui nous entoure, éclairer les
faits et l’actualité, informer sur une personnalité publique, tout en racontant
l’histoire d’une vie avec liberté dans l’écriture mais rigueur dans le contenu
rapporté, voilà ce que réussit la belle biographie signée par Marie-Florence
Ehret.
Philippe
Geneste
(1)
Sur ce socle issu de l’ère victorienne anglaise des États-Unis d’Amérique, se
reporter à Tort, Patrick, Du Totalitarisme en Amérique. Comment les
États-Unis ont instruit le nazisme, Paris, érès, 2022, 274 p.