DURLEY Natasha, Dans les airs, éditions amaterra, 2022, 32 p. 13€90
Tout ce qui est dans les airs, animaux, phénomènes naturels, créatures
mythologiques ou de légendes, objets de la technologie humaine, fantôme et
super-héroïne, astres et insectes, mais aussi ce qui est en contiguïté avec
l’air (chapeau) ou bien qui appelle l’élément aérien par sa place sur le corps
(le chapeau). Les seize feuilles cartonnées qui se présentent sous la forme
d’un dépliant augure du jeu et de bien des manipulations par l’enfant. Sur
chaque page un dessin peint plutôt stylisé est un bon support pour interroger
l’enfant sur ce qu’il voit, ce que c’est comment ça s’appelle s’il en a déjà
vu… Et l’expérimentation auprès de la commission lisez jeunesse a montré que le
livre dépliant avait du succès avec les petits.
Avec son rabat aimanté, la couverture du livre se ferme comme un petit
coffre à merveilles que l’on peut poser sur un rayon de livre ou bien
transporter sans peur de l’abîmer car il est solide. L’air de rien, c’est un
bon petit livre pour offrir grande joie aux petits et petites d’humains.
CAHEN
Laurie, Toni DEMURO, L’Oiseau qui avait avalé une étoile,
éditions Cipango, 2022, 40 p. 17€
La situation initiale, toute entière
contenue dans le titre, qualifie le surréalisme de l’univers fictionnel dans
lequel va pénétrer le jeune lectorat. Le dessin géométrisé de illustrations, le
choix de couleurs mates disposées selon des contrastes adoucis, la physionomie
des personnages (animaux et un humain) suggérant plus qu’elle ne la dessine la
tristesse, l’utilisation de fonds tramés de couleurs -aplats noirs, pour des
raisons évidentes, exclus-, introduisent l’enfant à une réflexion sur l’accueil
et le rejet, sur l’altruisme et l’égoïsme, sur la nécessité de la relation à
l’autre pour connaître le bonheur.
L’autrice use de la poésie comme d’un
instrument philosophique. On pourrait compter dix-huit strophes, bien que, si
les onze premières sont avérées, les sept dernières sont davantage des
transpositions en vers d’une prose non versifiée. Or, cette césure entre vers
et prose transposée en poésie correspond au passage de la genèse du malheur à
la genèse du bonheur. La onzième strophe évoque la détresse de l’oiseau qui
pleure « quelques / larmes scintillantes », la douzième
sanctionne toute cette moitié du récit en préparant une solution à l’histoire
et les six dernières proses mise en strophe déroulent la rencontre de l’autre
jusqu’au dénouement.
Selon une trame de conte,
l’éblouissement, qui accompagne l’avalement de l’étoile par l’oiseau, est suivi
par sa transformation physique avant que le sentiment du malheur fasse son
œuvre. Par l’intervention magique d’une larme et de la fleur qu’elle engendre,
le récit prend un tour nouveau, inverse à la dramatisation de la première
moitié. C’est grâce à l’union de la solitude de l’homme et de la solitude de
l’oiseau que se réalise le voyage au bonheur. La persistance d’une tonalité
mélancolique, et d’une tendre joie pour la dernière image qui est aussi celle
de la couverture ne signifierait-elle pas, allégoriquement, que les êtres
humains loin de s’approcher du bonheur parce que se rapprochant des autres
œuvrent sans cesse à leur malheur en cultivant rejets, xénophobie et haine du pas
pareil ?
HERRMANN Ève, Mémo des oiseaux, illustrations Roberta
ROCCHI, Nathan, 2022, 60 cartes à jouer + un livret des règles du jeu et
supplément documentaire16 p. 12€90
Pour toucher tous les âges, trois niveaux de jeu sont proposés. Le
premier niveau consiste à apparier des cartes « oiseau »
identiques. Le second niveau consiste à apparier une carte « oiseau »
avec une carte « plume » correspondante. Le troisième niveau
consiste à jouer avec les soixante cartes et à faire correspondre à la carte
« plume » les deux cartes « oiseaux »
identiques. Les cartes sont petites, manipulables par de petites mains. Les
illustrations sont en couleur et de style naturaliste. Très vite, les enfants
d’âges différents peuvent jouer entre eux, les petits sous la direction des
plus grands. Le jeu entraîne à l’observation et, en même temps, fait découvrir
vingt espèces d’oiseaux. Si l’enfant habite en campagne, il pourra aussi faire
le rapprochement avec certains oiseaux du jardin. Une heureuse publication
présentée sous la forme d’un coffret comme un jeu de société.
FAROTTO Andrea, La
Vérité est comme un oiseau !, illustrations PIROLLI Anna,
amaterra, 2022, 26 p., 14€90
Il s’agit d’une fable structurée par
le trope de la comparaison. Le sujet en est le rapport entre la vérité et le
mensonge. Le grand format met en valeur les images colorées et finement conçues
pour créer des ambiances en lien direct avec la phrase du légendage qui court
en bas de la double page. La comparaison rencontre ainsi une première étape de
sensification (construction du sens) puisque l’image la concrétise
visuellement.
Il faut attendre la fin de l’album
pour comprendre qu’en fait, il s’agit d’un dialogue entre un père et son fils,
le père cherchant à savoir qui a fait une bêtise… Si les vingt-et-deux
premières pages semblent une leçon classique de morale portant à la dénonciation
du mensonge et à l’approbation de la vérité, les quatre dernières sont un pied
de nez à la fable. L’enfant accusera le chien, tournant la fable en
contre-fable, en quelque sorte. Cette fin autorise une relecture plus libre de
l’album et on ne manquera pas de solliciter l’enfant à pratiquer cette
relecture. Par exemple, avec un petit non-lecteur, on lui demandera ce que
l’image dit, donc ce qu’il voit sur l’image, l’amenant ensuite à comparer
l’image avec le texte lui donnant légende. Cet aller-retour entre la
comparaison de l’image avec le texte (lecture spontanée, conventionnelle) et la
comparaison du texte avec l’image (lecture plus appropriée à l’enfant,
permettant en tout cas de faire participer plus pleinement l’imaginaire
enfantin à la construction du sens de chaque double page,) s’avère un excellent
exercice de pensée. Nul doute, bien sûr, qu’il faille lire l’album avec
l’enfant pour que toute sa richesse de lecture s’accomplisse.
LOZANO Luciano, Tancho,
traduit de l’espagnol par Sébastien Cordin, éditions des Éléphants, 2022, 48 p. 15€
« Le
ciel nous parle de passages et de retours.
Nos migrateurs sont revenus.
(…)
Leurs ailes fragiles
Leurs chants et leurs secrets.
Maigres,
survivants,
affamés.
Gorgés d’images et de vertiges. »
Chantal
Dupuy-Dunier, Mille grues de papier,
Paris,
Flammarion, 2013, poème 403
Inspiré d’un séjour à Tokyo où l’auteur dit avoir « été étonné
par le sens esthétique des Japonais », voici un album aux images
épurées, qui se passe sur l’île d’Hokhaïdo. Le petit héros observe les grues,
symboles de l’île, source d’inspiration pour le jeune Yoshitaka Ito. Sa passion
est si forte, que les habitants l’appellent Tancho du surnom donné aux grues en
japonais.
L’enfant observe et c’est l’occasion pour les enfants qui lisent l’album
de suivre la danse des grues, d’observer à leur tour leurs mouvements, mais
aussi les paysages tracés avec précision parsemé de taches floconneuses, puis
se perdant au lointain embrumé.
Fait notoire, l’album présente l’enfant qui grandit, devient jeune homme,
introduisant par là une dimension temporelle dont l’effet est d’ouvrir l’album
à des lecteurs et lectrices plus âgés, jusqu’à la pré-adolescence ; Cette
dimension temporelle est essentielle à l’histoire car les illustrations rendent
compte de la diminution du nombre de grues.
Tancho va en nourrir deux, durant l’hiver et une relation s’installe
offrande réciproque de la nature et de l’humanité. Dans les paysages gris aux
arbrisseaux squelettiques tracés avec précision contrastant avec le lointain
perdu sous un ciel opaque, les grues, l’hiver d’après, reviennent avec un
oisillon. Tancho travaille la terre. Les grues profitent du grain conservé des
récoltes.
Tancho vieillit. Il a une fille, Sadako, qui le remplacera auprès des
grues. Sadako, du nom de cette enfant, Sadako Sasaki, irradiée lors du largage
de la bombe américaine sur Hiroshima, qui confectionnait des grues, s’étant
donné le but de mille grues en origami, pour ne pas mourir… Les grues
rappellent donc aussi la barbarie de la guerre, car toute guerre est crime.
L’album de Luciano Lozano prend ainsi plusieurs dimensions : une
belle histoire animalière, un hymne à la fidélité des sentiments, un chant pour
la paix, pour la conciliation entre nature et humanité, un rappel de faits
historiques Yoshitaka Ito a réellement vécu, tout comme Sadako Sasaki) où le
symbolique a réussi à triompher malgré le fanatisme des militaires
nucléocrates. Par la soule articulation de ces diverses dimensions, Luciano
Lozano prose une fiction qui pourrait être dite documentaire, il lance les
lecteurs au cœur d’une histoire où le désir de vie affronte la puissance de
mort, où le réalisme illustratif trouve son accomplissement dans la suggestion
poétique des paysages des marais de l’île d’Hokhaïdo.
Philippe Geneste