Anachroniques

25/09/2023

De la relation humaine

JOB Armel, Sa dernière chance, Namur, Mijade, 2023, 307 p.

« Quand on se fourre dans la gueule du loup, il ne faut pas lui reprocher d’avoir les dents longues » (JOB Armel, Sa dernière chance, Namur, Mijade, 2023, 307 p. – p.127)

Le roman réaliste, qui s’appuie sur les réseaux sociaux, conjugue la mise en scène qui leur est propre à la scène fictionnelle que confectionne un narrateur en suivant les personnages. On entre sur les réseaux sociaux en se créant un double. Ici, Rachel est le double de façade d’Élise Dubois ; Tristan est le double de manigance et louches affaires de Pierre Fauvol. Le roman les met en scène, décrivant par les relations interpersonnelles des liens sociaux blessés, brisés, aliénés à l’individualisme réificatoire. Les individus sont étrangers à eux-mêmes, cherchant qui la thésaurisation de conquêtes (l’antiquaire, Pierre Fauvol), qui la fructification des avoirs (le directeur d’agence immobilière, Édouard Gayet), qui la reconnaissance sociale élitaire (Marie-Rose Gayet), qui l’assouvissement morbide de désirs cachés (le chanoine responsable du patrimoine de l’Église, Félix Grimaux). Ces quatre personnages vivent dans la clôturation de leur monde, de leur Moi. Ils se coupent des autres chez qui ils ne voient que des objets de jouissance, des objets de rapports pécuniaires, des instruments d’usage domestique, des faire-valoir professionnels et sociaux. Quant à Élise Dubois, elle subit leurs désirs d’emprise. Servante, objet sexuel soumis à la tradition clérico-patriarcale, Élise Dubois est femme de rapports pour ses prédateurs, le truchement insignifiant de leurs manigances. Si elle est le personnage principal, c’est parce que les autres s’emploient à nier sa personne.

Toutes les relations sont avilies par une violence symbolique qui détermine l’essentiel des échanges. L’imaginaire des personnages est altéré ; chacun est plongé dans une crise existentielle qui se juxtapose à une crise économique brossée en arrière fond. Le roman rapporte, sous la forme d’un fait divers, les ressorts secrets d’une affaire inventée avec souffle et forte ruse narrative. Il met en scène la révolte d’Élise Dubois, brisant les murs de la claustration où on la tient. Et sa révolte a pour vecteur le corps, la vie du corps et plonge dans la nuit des temps pour découvrir le sentiment de sympathie. Mais pour cela, il faut défaire les voiles du faux : « mais tous les êtres humains ne sont-ils pas des escrocs »[1] ? « Mais trop c’est trop, je n’en puis plus de ces mensonges, de cette comédie répugnante. »[2] Sauver les apparences c’est perpétuer le faux. Sa dernière chance est donc l’histoire d’une femme en quête d’elle-même, en reconquête d’une vérité humaine.

Manipulation, échappée belle, chosification ?

Au début, pour créer sa page sur le site de rencontre, l’outil de communication organise les renseignements, et oblige la personne à mettre en scène ce qu’elle pense que les autres penseront d’elle en lisant ce qu’elle confie au site. Elle dit le vrai autant qu’elle dissimule. On comprend, dès lors, pourquoi la thématique centrale de la dissimulation se double de la question de l’identité.

Tous les personnages ont un problème avec l’identité qu’ils ont ou se sont donné

 ou les deux. Julia Blanmon a substitué à sa vie campagnarde une vie de citadine qui lui sied ; Félix Grimaux est catholique mais vit d’escroquerie et n’a de cesse de satisfaire ses perversions ; Pierre Fauvol est Tristan, faux veuf d’un amour romantique, escroc notoire et abuseur de femmes ; Marie-Rose Gayet soigne sa renommée de gynécologue attentionnée, s’entourant d’une configuration sociale conservatrice qui sied à sa stature sociale quitte à briser la vie de sa sœur ; Édouard Gayet est un père de famille aussi peu disponible que son épouse pour les enfants, un homme généreux, en réalité obsédé par l’accumulation d’argent et la convoitise sexuelle ; Élise Dubois est gouvernante effacée, célibataire traumatisée par un vécu de violence et de manques, mais aussi Rachel, une femme en quête de sa libération cherchant à se soustraire à la surveillance.

La manipulation sociale que symbolise le site catholique du chanoine Grimaux, en lien avec la religion comme institution de manipulation des âmes, désinforme les personnages sur eux-mêmes, notamment Pierre-Tristan. Élise Dubois qui croit y trouver un refuge s’y perd pour y avoir livré des données personnelles. Le propre du site est de manipuler l’identité, de l’exposer autant que la voiler, la fictionner. Symbolique, le pouvoir de la technologie est ici personnifié par le chanoine, un gardien des âmes d’une institution multiséculaire d’opium du peuple.

Du virtuel au réel, comment en sort la personne ?

Élise Dubois, gouvernante chez sa sœur et son beau-frère, hébergée et logée, sans rémunération, soumise à leur surveillance vit une existence d’esclave du bien familial. Elle est aussi sous la surveillance du chanoine Félix Grimaux qui l’a piégée sur le site de rencontre catholique qu’il a créé et qui tient à jour un dossier de compromission pour la soumettre à ses calculs vénaux. Sous surveillance, Élise Dubois a donc au fond peu d’espaces privés et expérimente, jour après jour, le délitement de la distinction entre sphère privée et sphère publique.

Son inscription sur le site et son investissement pour conquérir Pierre Fauvol à son plan de libération du corps, mais aussi pour se soustraire à la surveillance (elle lui demande, lors de leur rencontre à l’hôtel dont elle est l’organisatrice, de ne dire à personne qu’elle va rester dans l’hôtel durant deux jours). Notons-le : se soustraire, c’est s’échapper, on ne s’échappe que par une réduction de visibilité mais donc aussi d’être. La fragmentation de la vie devient souhaitée afin de se trouver soi. Alors que l’unité de la personne a longtemps été l’idéal, le but de la construction de sa personnalité, ici, c’est la désunion, la scission de la personne qui est construction de personnalité.

Les personnages, Pierre-Tristan comme Élise-Rachel, vivent en dissociation ce qu’ils écrivent et ce qu’ils font. Entre les pensées énoncées sur internet et les motivations réelles qui les animent, s’est installée une discontinuité qui prévient la fracture de toute vraie rencontre : « Des gens comme Fauvol et elle ne pouvaient plus s’aimer simplement. Ils se servaient des apparences de l’amour, mais ce n’était que l’habillage de machinations souterraines »[3].

Une autre question posée par Sa dernière chance est de comprendre le rapport que la personne entretient avec son avatar numérique, les conséquences mentales, psychologiques, sociales des relations virtuelles engagées, enfin l’impact que des rencontres réelles ainsi provoquées peuvent avoir sur soi. Que reste-t-il de l’humain sans corps ? Que reste-t-il de l’humain donnant son corps pour son corps ? Les sites de rencontre étant des créations d’entreprises pour la marchandisation de la relation amoureuse, comment interpréter l’achat de la mise en ligne de son profil ?

Le roman est traversé par ces questionnements, mais les personnages n’étant pas figés, d’autres affleurent, laissant le lecteur ou la lectrice dans l’indétermination de ce qui vient.

De l’inquiétude

Tous les personnages principaux sont pris dans l’inquiétude. Le chanoine passe du désir d’objet à l’inquiétude qui va le faire retourner auprès de ses paroissiens et renoncer à l’acquisition du tableau de ses rêves pour lequel il est allé jusqu’à corrompre les uns et les autres, à mentir et humilier sa plus proche confidente et amante. Fauvol, avide de profit, est traversé par l’inquiétude de ne pas réussir à s’enrichir. Il est avide de profit, de désirs à satisfaire dans l’éphémérité. Il est la figure typique du petit bourgeois. Sa rencontre avec Élise va lui apprendre la passivité et avec la passivité l’écoute et avec l’écoute il va découvrir la passion, une passivité faite patience. Grâce à Élise qui déconstruit sa stéréotypie machiste des relations de couple, son inquiétude va se porter non plus sur l’argent mais sur la vie humaine. De là débouchera une autre perspective d’existence, malgré la ruine. Élise confiné dans son corps par la claustration familiale imposée, va apprendre l’inquiétude de l’insécurité pécuniaire et à se battre pour la surmonter, ce qui suppose de sortir des griffes de l’ordre moral bourgeois qui la tient emprisonnée depuis quinze années. Confrontée à l’absence d’Élise, Marie-Rose va s’inquiéter de l’effondrement de l’institution familiale qu’elle pense avoir bâtie et consolidée. Son mari est bousculé d’une nuée d’inquiétudes engendrées par ses obsessions et sa vénération pour l’échange marchand.

La figure de l’inquiétude déplie son ombre sur les sphères closes de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie, donnant au roman psychologique Sa dernière chance une coloration certaine de roman social.

Morale de l’individualisme

Les personnages du mal font le mal par intérêt, « car en fait tout est lié à l’argent »[4]. L’argent gouverne leur vie, leur image, leur représentation de la vie sociale. L’argent est destructeur de l’autre, parce qu’il repose sur la hiérarchisation des personnes, comme Élise Dubois en subit les conséquences au quotidien. L’argent monnaye, chosifie, et l’être chosifiée est bafoué dans son humanité. L’amour en subit les conséquences aussi, devenant chez Edouard Gayet une haine de possession. Dans le roman, la violence symbolique « articule les Sujets à un pacte »[5]. Entre eux, nul partage si bien que l’agressivité prend le dessus avec le repliement accentué de l’individu sur lui-même. Edouard Gayet est d’une « turbulence corruptrice »[6] ; Félix Grimaux, le chargé du patrimoine de l’église, est habité par la raison corruptrice du collectionneur fétichiste et se range avec les bourgeois moyens comme ses congénères bureaucrates de la sainte croix ; Pierre Fauvol est, avant sa rencontre avec Élise Dubois, le type du petit-bourgeois qui rage de ne pas accumuler fortune. Quant à la sœur d’Élise Dubois, Marie-Rose, épouse Gayet, elle a l’amour corrompu par l’égoïsme et la certitude suffisante du jugement administrateur et du bling-bling mondain.

Élise Dubois, dépossédée, déshumanisée, dégradée, déséquilibrée par la double pression familiale et sociale, est le réceptacle des dards convergents des corruptions morales. Pour trouver sa personne, pour atteindre son soi-même, elle va prendre sa vie à son corps partisan. C’est dans l’étreinte qu’elle va se construire. Elle va y puiser le fondement du rapport à l’autre ; se construire c’est rencontrer l’autre. Or, la relation sexuelle est la source instinctuelle de ce rapport, devenue au cours du procès d’humanisation, la relation amoureuse mais aussi la relation sociale. Dans l’étreinte se love et l’accomplissement culturel de l’humain et le dépassement collectif de l’individu. L’enjeu ? La réalisation de l’individu.

Conclusion

Le roman pose au cœur de sa thématique le déni physique ou symbolique de la relation humaine, il pose l’enjeu relationnel de ce qui fait mal, ce mal qui traverse la banalité des quotidiennetés individuelles : « Par-delà les pièges de la communication galopante et dévoyée, la mise en relation de l’homme avec le monde et avec ses semblables est le seul gage d’intensité et de déploiement de l’existence »[7] Roman psychologique, il porte un regard social scrupuleux dans les limites d’un huis clos familial. Mais s’il semble un roman d’analyse de l’inquiétude existentielle de nos contemporains, il est aussi, par la verve compositrice d’un narrateur espiègle qui se rappelle régulièrement aux lecteurs en les interpellant, un roman d’aventure annulant chaque prévisibilité dès à peine esquissée.

Ce dernier trait appelle une remarque sur le choix de la position du narrateur. Le roman se donne comme la relation d’un fait divers et l’incipit met d’ailleurs en scène un journaliste qui écrit un papier sur l’affaire et pour ce faire mène une enquête. Mais le narrateur va se substituer au journaliste : « Il y a bien des éléments que les journalistes ne peuvent savoir, car ils n’ont d’autres sources que les déclarations des témoins et l’apparence des événements. C’est aux romanciers qu’il revient, comme un devoir, de les faire connaître. »[8] Ainsi, l’acte de raconter s’inclut-il dans l’histoire, non seulement pour établir une relation de complicité avec le lecteur ou la lectrice, mais aussi pour souligner l’illusion de vérité, celle d’avoir assisté aux événements. Ironie, il s’agirait donc d’inclure une évaluation de vérité dans le récit… La littérature serait donc plus vraie que le réel, elle offrirait la compréhension englobante. Ce surréel n'existerait donc que par la parole présente et subjective du narrateur. Dès lors, l’histoire pourrait reprendre…

Philippe Geneste



[1] Job Armel, Sa dernière chance, Namur, Mijade, 2023, p.273.

[2] Job Armel, Ibid. p.285.

[4] Job Armel, Ibid. p.255.

[5] Jacob, André, Penser le mal aujourd’hui. Contribution à une anthropologie du mal, Paris, Penta, 2011, 195 p. – p.42.

[6] Jacob, André, Ibid. p.44.

[7] Jacob, André, Ibid. p. 95.

[8] Job Armel, op. cit., p.306.

10/09/2023

Détacher ses cheveux

SODKI Agnès, Ma Vie en rousse, illustrations d’Olivier CHENE, Utopique, 2023, 48 p. 8€

pour Alice & Juliette

Voici un roman pour enfants qui porte l’attention sur une singularité : être roux (1). La petite fille, héroïne du livre, souffre de la discrimination dont elle est l’objet, s’attachant les cheveux alors qu’elle les aime détachés, se défendant d’être une sorcière, vivant mal la blancheur de sa peau constellée de taches de rousseur, affublée du qualificatif de martienne, du nom de la planète rouge.

C’est grâce à un sentiment amoureux partagé que Mélissa va affronter sans honte ce que les autres lui font appréhender comme une différence. C’est grâce à sa plus proche amie qu’elle va sortir de l’univers dans lequel elle s’enferme, croyant échapper à la stigmatisation en se repliant dans un monde clos solitaire où l’autodépréciation est de rigueur. « Parfois, une identité n’est pas une identité » écrit Bertrand Dicale (2) ; on peut ajouter que toute identité est une construction, le résultat d’une relation. Si la rousseur sépare Mélissa d’un grand nombre d’élèves de sa classe, la rousseur va aussi la rapprocher d’Arthur et c’est à l’épreuve de sa rousseur que l’amitié de Jeanne se montre indéfectible.

Derrière la fiction bien écrite d’Agnès Sodki et illustrée dynamiquement par Olivier Chéné, c’est une histoire culturelle de l’occident qui affleure. Dans le moindre des stéréotypes langagiers, c’est l’embrasement des intolérances passées et présentes qui se déclinent. Le roman suit alors une autre voie que la distraction, celle audacieuse d’une prévention contre la discrimination. La petite fille a du mal à accepter qu’une simple variation génétique éprouve ainsi sa vie. Elle est loin de se douter que les camarades qui la poursuivent de leurs sarcasmes sont le jouet d’associations ancestrales entre rousseur et diablerie et totalement ignorant de la relativité des croyances selon les civilisations. Mélissa, sortant du roman pour venir dans cette chronique, nous répondrait que cela lui fait une belle jambe, que c’est au quotidien qu’elle doit affronter les remarques dégradantes. Ne lui parle-t-on pas des « taches de rousseur » comme si elles étaient autre chose (une salissure suggère le mot tache, car si on ne naît pas immaculée…) que des ponctuations épidermiques que les scientifiques nomment éphélides.

L’air de rien, l’encre d’Agnès Sodki et la couleur d’Olivier Chéné impriment des arguments littéraires sur la diaphanéité des idées qui laisse passer le soleil irradiant des croyances et opinions communes. S’il met en exergue des éléments du schéma immuable de la stigmatisation et de l’exclusion, le récit écrit à la première personne de Mélissa mène le jeune lectorat à ressentir les émotions dégradées qui rongent l’héroïne. Le roman à lire dès 8 ans conte un parcours d’apprentissage qui part du négatif pour se retourner en positivité, qui part de l’enfermement en soi pour se dépasser grâce aux relations interpersonnelles et sociales autrement fondées. La force de Ma Vie en rousse est de déployer son intrigue non pas sur l’énoncé d’un jugement moral contre les discriminations, mais sur le double mouvement de la reconnaissance de soi par les autres pour vraiment se connaître soi-même. Mélissa n’est pas la super héroïne qui vaincrait seule la montagne des obstacles qui se dressent devant elle, par la seule force vitale de sa raison et de sa volonté ; non, Mélissa va assimiler ses caractères de rousseur pour se situer à l’intérieur du monde, grâce à la relation nouée avec d’autres. Chaque personne s’instruit des autres et jamais de soi seul, de la réciprocité nait la socialisation, comme l’a démontré Jean Piaget (1896-1980) en des travaux magistraux curieusement marginalisés aujourd’hui.

La valeur d’un tel ouvrage pour la lecture individuelle ou collective, prend d’autant plus d’importance dans une époque où le code relationnel façonné par l’individualisme exacerbe les comportements de harcèlement. Chez les adolescents, par exemple, « il ne fait pas bon (…) être gentil et serviable, il convient pour être populaire de se montrer persiffleur, ostensiblement critique, de faire de l’humour aux dépens des autres » (3)

Philippe Geneste

(1) Roux-Guyomard, Élodie, Colin, Marie-Savine, Être(s) roux. Regards croisés sur une singularité, préface Bertrand Dical, Rennes, éditions Goater, 2018, 175 p. – (2) Ibid. p.9. – (3) citation extraite d’une étude qui n’a pas perdu de son actualité : Catherine, Nicole, « Harcèlements en milieu scolaire », Enfances & Psy, vol. 45 n°4, 2009, pp.82-90. Voir aussi le blog https://lisezjeunessepg.blogspot.com/ du 7 janvier 2018.


03/09/2023

Pour les petits et tout petits tourne-pages


Parce que le livre c’est bien pratique, avec lui, on joue, on apprend, on rêve, on grandit. Il fait naître désir et curiosité. Le livre, on le rencontre, il nous montre aussi le monde, un peu différemment que nos yeux le perçoivent. Ouvrir le livre est entrer dans la maison du monde, par la couleur et par les mots, par les dessins et les histoires, par la matière du doux et du râpeux et par le mystère et l’émotion. Ainsi que les parfums des fleurs sauvages frémissent sous les battements d’ailes de l’oiseau en envol, laissons nos mains jouer dans l’inconnu des pages, en découvrir les merveilles, feuilleter, feuilleter, s’échapper plus loin, et revenir. Tournons, tournons les pages encore et encore, et dès le tout jeune âge pour s’ouvrir à l’espace d’autres, pour élargir le nôtre. Tournons, petits, tournons tout petits, tournons les pages.

Annie Mas & Philippe Geneste

BABONI Elena, Quand la pluie s’arrête, mØtus, 2022, 24 p. 9€50

Un livre au prix bien raisonnable, ce qui est à noter, fait de peintures simples, tendres, aux couleurs vives, jouant avec les motifs et leur duplication, immédiatement sensibles au regard enfantin. L’album cartonné se rendra maniable par les tout petits et petits. De la pluie peinte, la narration simple, mène, c’est bien simple, au ciel, et porte du jour à la nuit. L’album sera ainsi lu avec l’enfant avant son endormissement. Tout est simple avec Elena Baboni. Simple et doux, et coloré. C’est un livre poétique par les peintures, tendre par ses tons, apaisant par sa visée, engageant la complicité de l’adulte avec l’enfant pour un simple temps partagé.

 

COSNEAU, Olivia, Curieux comme une fouine, éditions Lagrume, 2023, 18 p. 14€90

Cet album tout en carton, avec ses flaps qui cachent les solutions des expressions laissées en suspension dans la page de gauche, est à la fois un plaisir de lecture avéré pour les petits et aussi une propédeutique aux expressions toutes faites dont use le langage commun. L’enfant découvrira : marcher comme un canard, être fort comme un taureau, être têtu comme une mule, être gai comme un pinson, manger comme un cochon, être fier comme un paon, être myope comme une taupe, être doux comme un agneau. Les illustrations de couleurs vives avec des aplats sont apposées sur des dessins tendant au géométrisme mais non sans fantaisies diverses. C’est donc un album didactique, si l’on veut, mais sans didactisme, juste une exploration du discours des expressions figées, mais si elles sont figées pour les adultes, elles ne le sont pas pour l’enfant qui ne les connaît pas. L’adulte, qui l’ accompagnera dans la lecture de Curieux comme une fouine, pourra donc inciter l’enfant à deviner l’animal désigné par l’attribut caché de la proposition. Il y a là une mine d’échanges et de découvertes pour l’enfant, mais aussi pour l’adulte attentif à la pensée et au langage enfantins. Or celui-ci éblouit si peu qu’on l’écoute en accueil.

 

DELGADO Angelina et Aurora, Une Bonne Journée, traduction de Pépito Lopez, illustrations de Daniela MARTAGÓN, Syros, 2023, 40 p. 16€50

Voici un très bel album qui met en scène une mère et sa fille, pauvres, qui fréquentent une décharge à la recherche de choses réutilisables. Le décor est autant le héros que ne le devient au fil de l’album la petite fille. La thématique est celle de l’émerveillement et de l’aventure conjoints. La dessinatrice peintre assume le glissement de l’album vers la fantaisie du merveilleux d’un conte humain et social par temps de crise. Car cet album est ancré profondément dans le temps présent du monde comme il va mal.

Le merveilleux qui advient installe alors l’histoire dans le conte animalier. La petite fille se lie d’amitié tendre avec un chien errant après s’être perdue et avoir passé la nuit dans un sombre refuge au pied d’un immeuble gris et lugubre.

Le travail des écrivaines et scénaristes jouent sur l’ambiguïté du genre, un album faite bande dessinée ou alors une bande dessinée tirant vers l’album. Les dessins naïfs parfois, réalistes et fauves à la fois, sont couverts de matière colorée donnant épaisseur à la décharge, aux rues, aux personnages. De plus, les dessins privilégient une multiplicité de points de vue qui épousent l’évolution des sentiments de l’enfant tout au long de son errance commencée par une chasse aux merveilles. C’est un très bel album à offrir aux enfants de 5 à 12 ans.

 

SOUDAIS Clémentine, Mon Cahier nature. Les quatre saisons, amaterra, 2023, 56 p. 13€90

Remarquable ouvrage que cette création de Clémentine Soudais. Y est proposée une découverte de la faune et de la flore du printemps, de l’été, de l’automne et de l’hiver des pays tempérés. Chaque double page sollicite le jeune lectorat pour achever de dessiner un motif, de trouver l’emplacement ou placer un motif autocollant livré sur les six pages supplémentaires qui accompagnent le volume de bon format. Livre pratique, Mon Cahier nature. Les quatre saisons est aussi un très bon documentaire pour accompagner les saisons et découvrir des plantes et des animaux ainsi que leur vie. Au coloriage et aux autocollants s’ajoutent des quiz qui permettent de réinvestir ce qui a été lu, parcouru et fait. On ne peut recommander ce livre aux enfants de huit à onze ans.

 

Croc crevettes. Jeux P’tits docs, illustrations de Clémence Lallemand, Milan, 10€50

L’éditeur Milan propose un jeu de mémoire et de stratégie autour du calmar, du poisson-volant, du poisson-papillon et de la squille, tous prédateurs des crevettes dans les eaux tropicales… Les pions, les jetons, les tuiles sont à préparer, c’est simple et, grâce à l’accompagnement de l’adulte, investit les enfants avant même de démarrer. La boite contient 25 tuiles, 20 jetons, 4 pions et une règle du jeu. Et les prédateurs eux-mêmes devront se méfier du thon jaune dont ils sont la proie. Le jeu met en scène une chaîne alimentaire naturelle. Le jeu dure à peu près dix minutes ce qui le rend adapté aux enfants de 6 ans.

Philippe Geneste