Anachroniques

28/05/2023

Temps historique et temps social

Politique

Chastre Lucile, Rosa Luxemburg. L’immortelle, oskar, 2022, 98 p. 12€95

Voici une belle biographie, menée à partir d’un dispositif narratif qui emprunte à l’entretien de radio entre un vieil homme ayant connu Rosa Luxemburg et des animateurs d’une radio lycéenne. La présentation de la famille juive polonaise de marchand de bois permet de suivre la scolarité de Rosa Luxemburg. C’est au lycée qu’elle acquiert, précocement, une conscience de classe politique. On la suit ensuite dans ses études universitaires, ses travaux théoriques d’économie, sa compréhension du phénomène de l’impérialisme et sa neuve conception de la Révolution. Elle est journaliste politique à la Neue Zeit, devient une cadre de la social-démocratie allemande, connaît la prison. La biographie permet de comprendre les clivages à l’intérieur de ce parti politique entre les réformistes et les révolutionnaires jusqu’à la fondation en 1918 du journal Die Rote Fahne.

La biographie met intelligemment en avant le milieu cosmopolite des cercles révolutionnaires polonais et allemands, la complicité étroite entre Rosa Luxemburg et Leo Jogiches, unis dans leurs différentes pérégrinations d’exil. Elle fait faire connaissance avec des figures historiques incontournables (Zetkin, Mehring, Bebel, Kautsky, Lénine, Bernstein, etc.

L’insurrection spartakiste enclenchée, peu de temps après la fondation du KPD (membre de la troisième Internationale) le 6 janvier 1919 est éclairée, succinctement mais avec justesse,

Assassinée le 15 janvier 1919 par des sbires à la solde du gouvernement social-démocrate allemand, sbires des Freikorps qui allaient devenir plus tard les SA complices d’Hitler.

Enfin, l’autrice a réussi à relier cette biographie à la notion contemporaine de l’engagement adolescent, en exemplifiant ô combien, qu’il est toujours une erreur de transiger avec ses principes, comme de renoncer à ses valeurs.

Philippe Geneste

… Vie sociale…

RADZIWITT, Katarzyna, Femmes au fil du temps, traduction de Lydia Waleryszak, illustrations Joanna CZAPLEWSKA, Helvetiq, 2021, 40 p. 18€

Ce documentaire de grand format appelle l’attention car si la littérature de jeunesse a tourné la page d’une vision purement masculine de l’histoire, elle le fait bien souvent, au niveau des écrits informatifs, argumentatifs et explicatifs, en mettant en avant des femmes célèbres ou des personnalités particulières, mais moins souvent du point de vue de la vie ordinaire des femmes, avec la division sexuelle des tâches, les effets de la division du travail. Même si le livre évite les questionnements récents de l’anthropologie et de la paléontologie sur la place des femmes durant la préhistoire, puis au néolithique, il vaut en ce qu’il fait bien état du travail des femmes depuis la nuit des temps, détaille les métiers que les femmes ont occupés à travers les périodes historiques, les civilisations et les siècles et les grandes vagues de répression religieuse qu’elles ont subies.

… Et sciences…

MARIÑO Soledad Romero, Heureux hasards Les plus grandes inventions faites par erreur, illustrations de Montse GALBANY, Milan, 2022, 48 p. 14€90

Voici un ouvrage de science qui fait l’éloge de l’erreur, de quoi mettre à l’aise le jeune lectorat, l’inviter à tenter, à essayer, à tâtonner. Pour illustrer ce principe premier de tout constructivisme en matière d’apprentissage, les auteurs présentent les inventions suivantes : le café (800), les feux d’artifice (800), le champagne (1670), la gomme (1770), la pile (1800), l’allumette (1826), les chips (1853)la teinture artificielle (1856), les rayons X (1895), la radioactivité (1896), la tarte Tatin (1900), le plastique (1907), la pénicilline (1928), la théorie du Big Bang (1930), la super glue (1940), le Velcro (1941), le micro-ondes (1945), le post-il (1970), la carte des courants marins (1992). On pérégrine dans le temps, on voyage aussi dans le temps, d’Éthiopie en Chine, de France, Angleterre, Italie aux États-Unis, d’Allemagne, Belgique, Suisse aux Îles Aléoutiennes. On regrettera que le livre ne se soit pas davantage ouvert aux autres continents et régions du monde, mais les jeunes lecteurs et lectrices sont sensibles à l’évocation de découvertes qui peuplent leur quotidien d’occidental. Le livre chronique et illustre « quelques erreurs historiques ou d’une grande malchance qui ont donné lieu à de surprenantes découvertes ».

 

LALIBERTE Séverine, MILLET Audrey, Les Héros de l’étoffe. La fabuleuse histoire du textile, dessins de Nicola GOBBI, Steinkis, 2022, 144 p. 19€

Le scénario est dû à une archéologue et une historienne, accompagnées au dessin par l’efficace Nicola Gobbi. Les deux scénaristes se mettent en scène, sous les noms de Pétronille l’archéologue et Audrey l’historienne qui guident le lecteur dans les arcanes d’un salon du textile qui est à la fois un panorama de l’évolution historique du vêtement et du tissage et une interrogation sur l’usage social du textile. Le phénomène de mode est aussi abordé. Ce qui est plus remarquable est l’attention mise par les scénaristes sur les conditions de la production et de la fabrication des textiles, avec les conditions de l’exploitation des ouvriers et des ouvrières, sur les différents continents et pays. Des luttes économiques et sociales sont évoquées. Il ne fait pas de doute que cette bande dessinée trônera dans les bibliothèques, médiathèques et centres de documentation et d’information tant il se rapproche d’un bien gai manuel.

Commission lisezjeunesse

21/05/2023

Parents, enfants, jeux vidéo

KALKAIR Cookie, Les jeux vidéo et nos enfants, Steinkis, 2023, 128 p, 18€

Dans cette bande dessinée, l’auteur s’adresse aux adultes pour les conseiller sur l’usage que leurs enfants font des jeux vidéo. Il s’appuie sur des études mais propose également des astuces et des conseils personnels. L’auteur explique qu’il joue aux jeux vidéo depuis l’âge de six ans. Il travaille dans ce milieu et cherche, lui aussi, à « présenter les joies (et les frustrations) » des jeux vidéo à son fils de 6 ans. À partir de 2018, il a commencé à présenter des ateliers dans des établissements scolaires pour aider les parents à mieux gérer la consommation vidéoludique de leurs enfants. Il a ensuite décidé de faire une bande dessinée sur cette thématique.

Cette bande dessinée est découpée en trois chapitres :

1) Le temps. Comment bien gérer le temps d’écran.

2) Le budget. Mieux comprendre le (vrai) coût des jeux vidéo.

3) La violence. S’assurer que le contenu est adapté à l’âge de l’enfant et le protéger de la toxicité en ligne.

À la fin de chaque chapitre il faut répondre à trois questions pour « débloquer » le niveau, un peu comme dans un jeu vidéo. Cela permet de faire participer le lecteur et rend cette bande dessinée ludique.

Le temps d’écran

Concernant la question du temps passé devant les écrans, l’Organisation Mondiale de la Santé préconise deux heures d’écran par jour maximum pour un enfant de six ans. Mais selon Prune Lieutier, spécialiste en numérique jeunesse, on ne peut pas séparer le temps du type de contenu. Tous les types de temps d’écran n’ont pas le même impact et la même charge cognitive sur nos cerveaux. Il y a le temps d’écran « inconscient » (publicités…), « passif » (regarder un film) et « actif » (jouer aux jeux vidéo demande plus de concentration et d’investissement physique et émotionnel…) (p. 18). Selon Mme Lieutier, « c’est presque comme si une heure de jeu comptait double comparée à une heure de télé » (p. 18). L’auteur ajoute qu’en plus de ça, tous les moments de la journée ne sont pas égaux en dépense d’énergie. Il est déconseillé de jouer avant d’aller se coucher parce que cela peut générer un mauvais sommeil. J’ai trouvé intéressante l’astuce donnée par l’auteur : au lieu de donner droit à une heure de jeu par exemple, mieux vaut expliquer à l’enfant qu’il a le droit à un nombre de parties / matchs / niveaux / quêtes (en fonction du style de jeu auquel il joue). Il compare cela à un temps donné pour regarder un épisode de série : si on accorde 40 minutes pour regarder un épisode mais que l’épisode dure finalement 50 minutes, c’est bête de stopper d’un coup avant la fin. Après, cela signifie qu’il faut connaître la structure du jeu auquel joue l’enfant.

Le budget

Dans le chapitre consacré au budget, l’auteur définit les cinq modèles suivants :

1-Le DLC « Downloadable content » : extensions payantes que le joueur peut télécharger une fois le jeu terminé.

2-Les « Free-to-play » : Les joueurs peuvent jouer gratuitement et ne payer qu’après. Le joueur peut acheter des objets, des pièces d’or… Le modèle du « free-to-play » mise sur des micro-achats.

3-Les « Loot Boxes » : le joueur achète un paquet mystère sans savoir ce qu’il y a dedans. Il espère qu’il aura un objet rare. À l’échelle du jeu vidéo, c’est ce qui se rapproche le plus des jeux de hasard et d’argent.

4-Les « battle pass » : au contraire, l’idée du « battle pass » est d’afficher à l’avance tout ce que le joueur peut débloquer. Il n’y a plus de hasard.

5-Les abonnements. C’est le seul mot en français, que j’ai compris tout de suite.

La violence

L’auteur rappelle que tous les jeux vidéo ne sont pas forcément adaptés aux enfants. Le jeu « Call of duty », par exemple, est joué par des enfants alors qu’il est réservé aux plus de 16 ans. Mais certains jeux sont adaptés aux enfants et les énervent quand même. L’auteur explique que cela dépend du degré de frustration possible que le jeu génère. Il prend l’exemple du jeu « Fall guys », qui a passé tous les contrôles officiels, mais transforme son fils « en bête enragée et vociférante, incapable de se calmer ou de se raisonner » (p. 93).

L’auteur nous explique que ce phénomène s’appelle le « rage quit » ou le fait de « tilter ». Cela signifie perdre complètement son sang-froid et se mettre très en colère. L’auteur explique que « tilter » n’est pas seulement lié aux jeux vidéo : « Il est important d’accepter que cet état de rage momentané soit un phénomène courant qui nous arrive à tous » (p. 101). Il compare par exemple cela au fait de s’énerver lorsqu’on conduit ou dans une situation stressante. Je trouve que l’auteur dédramatise peut-être un peu parce qu’un enfant qui perd à ce point son sang-froid à cause d’un jeu, selon moi, ce n’est pas la même chose qu’un adulte qui s’énerve en conduisant. D’ailleurs, l’auteur ne parle pas de la fatigue que peut engendrer une partie de jeux vidéo (même si elle est comprise dans le temps d’écran accordé). Ensuite, l’auteur explique très bien ce qu’est la toxicité en ligne. Dans les cas les plus graves, des joueurs en insultent d’autres. Cela peut mener à des cas de harcèlement : « Le souci c’est que les nouvelles générations qui débarquent dans ces jeux ont l’impression que ces insultes sont la norme” sur Internet et ça banalise complètement le harcèlement et la toxicité en ligne » (p. 104). L’auteur dit bien que l’anonymat en ligne et le fait de mal parler aux autres est « un mélange explosif et corrosif ». Cependant, il ne parle pas d’autres dérives que cela peut avoir : le fait qu’un adulte puisse se faire passer pour un enfant et entamer une discussion avec lui, transmettre des propos racistes…

Mon avis

Je trouve que cette bande dessinée se lit facilement. L’auteur a beaucoup d’humour et explique très bien en utilisant des exemples concrets. J’ai appris des choses très intéressantes. Les jeux vidéo peuvent être un outil pour apprendre des choses, sociabiliser avec d’autres enfants… Cependant, l’auteur qui apprécie beaucoup les jeux vidéo, a tendance à dédramatiser leurs effets néfastes. Les passages sur la frustration liée à certains jeux m’ont fait penser aux vidéos du Youtubeur « Joueur du Grenier ». D’une façon humoristique, il montre bien comment un adulte peut être amené à perdre son sang-froid face à certains jeux exaspérants.

Milena Geneste-Mas

14/05/2023

histoires animalières, histoires d'animaux

LEWIS JONES Huw, Blaireau broie du noir, illustré par Ben SANDERS, traduit de l’anglais par E. Gros, Milan, 2022, 32 p. 12€90

L’ouvrage dès l’image de couverture et le titre provoque une attente d’humour. Et les lecteurs ne seront pas déçus. Blaireau est un gentil animal, étourdi, qui se pose une question métaphysique en diable : qui suis-je ? Oh ! Il ne se la pose pas tout à fait comme cela, il se demande s’il est noir et blanc ou alors blanc et noir. De ne pas pouvoir répondre lui gâche la vie. Alors il va aller à la rencontre d’autres animaux qui vont soit lui dire ne pas en savoir plus que lui, soit l’éconduire, soit le renvoyer vers d’autres interlocuteurs jusqu’à ce qu’il rencontre le manchot qui lui donnera la réponse… que nous ne dévoilerons pas ici… Répondre à la question « Qui suis-je ? » requiert de prendre confiance en soi, mais aussi de trouver en l’autre un alter égo. Ben Sanders peint les animaux sur un fond uni avec des effets de matière ou de gommage ou de traits infimes. Les enfants aiment ces dessins en plan rapproché pour la plupart, sauf les paysages esquissés en plan général. Si l’album s’adresse aux tout petits, le texte intéressera jusqu’au 9/11 ans. C’est dire que Blaireau broie du noir gagne à être lu et relu.

 

TECKENTRUP Britta, Grand Hérisson et Petit Hérisson. Attends une minute, traduit de l’allemand par Anne Bideault, Bayard, 2022, 32 p. 12€90

Voici une histoire animalière à valeur anthropocentrique. Les deux personnages, le père et le fils en quelque sorte, traversent la nuit pour regagner leurs pénates ; Le Petit Hérisson demande sans cesse à s’arrêter pour percevoir ce qui l’entoure, pour s’y plonger aussi en compréhension. Le Grand Hérisson l’accompagne dans cette quête du monde environnant et l’album de Britta Teckentrup devient un récit d’invitation à la contemplation. Il faut louer ce type d’album, qui, à contre-courant du mode de vie des sociétés occidentales ne privilégient pas la vitesse mais à l’inverse la lenteur et la patience, l’observation et l’écoute.

Et les jeunes lecteurs et lectrices en acceptent la logique tant l’illustration les embarque. Les coloris se répondent, dans une vibration chromatique où le chaud et le sombre s’interpénètrent. Le chromatisme dynamique surréalise le végétal et le foisonnement des traits du dessin qui s’entrelacent s’allie à l’énergie des couleurs pour faire progresser, à l’intérieur d’une même double, page l’histoire contée. Au niveau narratif, c’est à la progression des couleurs qu’on suit le périple contemplatif des deux protagonistes, du soleil qui se couche à la lune qui se lève puis aux nuages qui la voilent, de l’envol des odeurs végétales aux cris des animaux de la nuit.

La composition des images usent d’avant-plans qui permettent de multiplier la présence d’insectes, comme la perspective de faire émerger des chauves-souris ou des écureuils, et l’enfant lecteur s’émerveille, revenant au centre d’intérêt de l’image, c’est-à-dire à ce que veut percevoir le Petit Hérisson. L’humour n’est pas absent mais un humour de poésie : « Alors ils s’assirent par terre et comptèrent les étoiles une à une, jusqu’à ce qu’ils ne sachent plus où ils en étaient ». L’enfant reprendra le livre entre ses mains et, doucement, attentivement, regardera les images dessinées de ce que le personnage observe avec tant de compréhension. Un album contemplatif d’une artistique facture.

 

Documentaire

LESCROAT Marie, Les Petits Papillons, illustrations Chloé du COLOMBIER, éditions du ricochet, 2022, 26 p. 9€50

Voici le vingtième album de la très belle collection éveil nature des si attachantes éditions du ricochet. Les illustrations sont composées par pleine double-page, couleurs radieuses, vives mais respectueuses des harmonies et réparties délicatement sur des dessins où la finesse le dispute à la précision naturiste. Le texte en noir ou blanc, selon le fond de la double page est informatif, principalement explicatif parfois. Un prolongement par le dialogue avec l’enfant sera le bienvenu, bien sûr avec les petits de 3 à 6 ans, mais même avec les plus âgés de 7/8 ans. En effet, l’album parle bien de l’art de l’imitation, de l’art de la défense, de la fonction nutritive, des mœurs nocturnes et diurnes, du rôle de l’olfaction et des organes qui lui permettent de jouer, de la patiente reproduction, de la ponte, des chenilles puis des chrysalides. L’hiver est déjà là, ici s’arrête l’histoire, prête à reprendre son cycle… il suffit de revenir à la première page….

 

GRUNDMAN Emmanuelle, Les P’tites Grenouilles, illustrations Chloé du COLOMBIER, éditions du ricochet, 2022, 26 p. 10€50

Choisir un documentaire animalier du ricochet, c’est la promesse d’être ravi par le travail éditorial. Emmanuelle Grundman possède son sujet sur le bout des doigts et Chloé du Colombier met en images, avec un réalisme stylisé, la vie des petites grenouilles. Le livre s’ouvre sur le rythme de quelque comptine bien connue, après avoir fait la différence entre le crapaud et la grenouille. Sans avoir besoin de transition, simplement, on apprend la respiration par la peau de la grenouille, sa vie dans et sous l’eau, mais aussi sa vie loin du milieu aquatique pour certaines. La grenouille des bois, le saviez-vous, a son cœur qui s’arrête durant les froidures d’hiver pour redémarrer sous les rayons de soleil printaniers. Les jeunes lecteurs et lectrices découvrent alors la saison des amours chez la rainette et la grenouille, la ponte des œufs puis le jeu des têtards dans la mare. L’ouvrage propose alors la fascinante métamorphose du corps du têtard en celui de l’adulte. Puis viennent les pages consacrées aux modalités de se nourrir. Leurs comportements diurnes et nocturnes sont alors évoqués.

Lu aux petits, le livre est un plaisir de découvertes, lu en autonomie par les premiers lecteurs et premières lectrices, il devient une source de curiosité et d’instruction à consolider. Et quand il pleut, il pleut, il mouille, alors ouvrez vite le livre dédié à la grenouille….

 

LE MOINE Lucie, JUNIER Arthur, Les Grands singes, des amis en danger, Milan, 2022, 56 p. 11€90

Voici un documentaire sur les grands singes (bonobos, chimpanzés, gorilles, orangs-outangs) qui prend la forme d’un récit en bande dessinée. Le trait de Junier est réaliste, genre du documentaire oblige, les dialogues mettent en scène une petite fille qui se destine à devenir primatologue. Avec sa famille qui travaille dans une forêt communautaire de la République Démocratique du Congo, elle occupe ses vacances à observer les singes. Sa sœur, à Kinshasa, étudie le droit de l’environnement. La bande dessinée alerte sur la raréfaction des forêts, les risques qui menacent les singes. La rencontre avec Jane Goodall est l’occasion de parler des singes asiatiques. Très clairement engagée du côté de la protection des animaux et de la défense de la nature, parsemée de gestes symboliques mais intelligents pour participer à la lutte contre la prédation capitaliste du bois et des bêtes sauvages, l’album se nourrit de rebondissement avec pour finalité l’efficacité dans la transmission d’un message et une riche documentation sur la question qui donne son titre au livre.

Philippe Geneste

07/05/2023

Contre la guerre

CASTRO Ilia, Le Citronnier, BARROUX, éditions d2eux, 2023, 44 p. 15€

Voici un album qui pourrait être pour cette décennie ce que FlonFlon et Musette fut pour la dernière du vingtième siècle : un chef d’œuvre antimilitariste. Avec ceci que Le Citronnier lie avec dextérité la problématique de la guerre avec la problématique de la dictature.  L’album repose sur un brouillage du genre, croisant le réalisme au fantastique, s’appuyant sur l’onirisme pour convaincre de la réalité de ce dont traite l’intrigue. Au début est la guerre et son œuvre destructrice. Puis s’immisce la dictature, puisque toute guerre exige un pouvoir non partagé et l’obéissance aux ordres. Le glissement de la guerre à la dictature peut être traité comme une simple variation thématique. Le texte de haute sensibilité est servi par des illustrations expressionnistes bien que stylisées. Le point de vue est celui d’une enfant qui va voir ses parents et leurs amis oppositionnels fusillés par les nervis du pouvoir alors qu’elle est réfugiée dans un citronnier, espace de la frondaison de ses rêves… Dès lors, l’album verse dans le fantastique. Les larmes se substituent à l’enfant et engendrent une rivière qui emporte au loin cette Histoire contemporaine de tuerie, de sang et de souffrance. Durant ce périple, on comprend que l’autrice s’inspire des dictatures d’Amérique du Sud soutenues par les USA.

La fin de l’album porte une lueur d’espérance et la dernière image voit la petite fille arroser une jeune pousse de citronnier sur une île de paix. L’album s’avère donc une fable littéraire, un récit d’utopie et une narration historique – et là un accompagnement de l’enfant-lecteur lui permettra de mieux pénétrer l’intertextualité externe du récit. À coup sûr, Le Citronnier restera comme un chef d’œuvre de la littérature enfantine. Et à l’heure où les pouvoirs se réunissent pour mener la guerre contre la guerre, pour recourir à la violence contre la violence, au risque des dictatures dont certaines adoubées de démocratiques, Le Citronnier est un album qui prend valeur historique.

 

LEBHOUR Karim, DEFAIT Vincent Léo TRINIDAD, Une saison en Éthiopie. Chinafrique, état d’urgence et Macchiato, Steinkis, 2023, 192 p. 22€

Karim Lebhour et Vincent Defait ont l’un et l’autre séjourné à l’étranger pour des travaux de journalisme et pour Karim Lebhour comme correspondant de l’ONU. Le livre raconte leur pérégrination en quête de reportages et d’informations alors qu’ils étaient en poste à Addis-Abeba. Le lectorat découvre ainsi plusieurs régions éthiopiennes ; il se familiarise avec la pluralité des peuples qui y vivent. Le récit commence en 2015 et s’achève avec leur départ du pays, avant que ne se déclenche la guerre, entre les forces fédérales d’Haby Ahmed et les Forces de Défense du Tigré. En deux ans, cette guerre a fait 600 000 morts. En octobre 2022, un accord de paix a été signé.

Dessinée à la manière d’un fanzine, avec sobriété mais sans omettre les détails informatifs du paysage, de l’urbanisme, des habitants et habitantes, l’œuvre de Trinidad colle à l’humour de la plume des deux scénaristes tout en les suivant dans leur volonté d’informer. En cela, Une saison en Éthiopie. Chinafrique, état d’urgence et Macchiato se rapproche du reportage. Ce qui est intéressant, est que les trois compères montrent la vie réelle et somme toute protégée des occidentaux dans des pays où ils sont en missions journalistiques ou bien associatives. Il n’y a pas d’immersion culturelle ni sociale et les mondes restent parallèles. Ce trait d’authenticité participe de l’intérêt des lecteurs et lectrices, adolescents et jeunes adultes mêlés.

Une des valeurs de cette bande dessinée, outre son aspect informatif, est de faire percevoir la montée des tensions dans le pays le plus peuplé d’Afrique. L’Éthiopie a connu durant la première décennie des années deux-mille un développement économique qui le faisait percevoir comme un impulseur économique de l’Afrique. Cette modernisation est portée par les financements chinois très impliqués dans l’économie et, comme à l’accoutumée, sans ingérence politique directe -ce qui différencie l’impérialisme chinois de l’impérialisme occidental en général : pas de troupes chinoises par exemple en Éthiopie contrairement aux implantations militaires occidentales (françaises, américaines etc.) dans d’autres pays d’Afrique.

Des passages historiques adroitement insérés au scénario racontent l’histoire du pays et son évolution. Par les pérégrinations de ses personnages, le récit nous plonge, par ailleurs, au cœur de la montée des heurts entre peuples que n'ont rassemblé que les modalités de la colonisation et de la décolonisation sous l’égide des impérialismes. Pour reprendre la citation de Newton qui sert d’exergue à la collection où paraît l’ouvrage, « Les hommes construisent trop de murs et pas assez de ponts ».

Philippe Geneste