ZUCCHELLI-ROMER Claire, DARGENT Nathalie, Oh, elle parle ! Quand les femmes sortent des tableaux, éditions Milan, 2023, 64 pages, 18€
Les deux autrices de Oh,
elle parle, Claire
Zucchelli-Omer autrice illustratrice et Nathalie Dargent, autrice historienne
ont tissé leurs talents pour concevoir et créer ce magnifique ouvrage. Quel est
leur but, leur désir, sinon de donner vie, donner la parole à des jeunes filles,
à des femmes qui furent modèles dans des tableaux célèbres de l’Antiquité, de
la Renaissance et de nos jours. C’est ainsi que douze visages féminins que l’on
ne connaissait que silencieux à travers le Temps et l’Art se présentent à nous
et se racontent.
Dédié aux enfants dès huit ans, on le découvre sous une belle couverture
cartonnée, turquoise. Les petites mains seront ravies d’en soulever la première
page, soulever le profil ciselé avec une grande finesse par Claire
Zucchelli-Omeret, découvrir le portrait si connu pour l’harmonie de ses traits,
pour sa douceur, son incitation à la tendresse et au rêve que fit Sandro
Botticelli de Simonetta dans son tableau La naissance de Vénus.
Comme pour les autres modèles choisis par les autrices, le profil ciselé se
trouve en page de droite et le portrait se dévoile, avec le nom du peintre et
celui du tableau, lorsque cette page est soulevée, tandis qu’en vis à vis, en
page de gauche, Nathalie Dargent, par ses textes férus de sensibilité et
d’érudition laisse parler le modèle féminin, le laisse raconter sa vie, son
histoire, ses désirs d’émancipation… Quand le nom des modèles est inconnu,
Nathalie Dargent leur offre une identité, une existence en s’inspirant
d’évènements historiques et d’expériences sensibles.
Mais il est temps de laisser aux enfants comme aux plus grands le plaisir
de découvrir cet ouvrage si original, propice à les sensibiliser à l’art et à
la lecture/écriture en empathie.
Annie Mas
SPUCCHES Paulina, Brontëana,
Steinkis, 2023, 216 p. 25€
Avec
Paulina Spucches, autrice déjà d’une biographie audacieuse, Vivian Maïer
(1), chez le même éditeur en 2021, l’art pictural, la recherche des cadrages et
des points de vue, entrent dans la narration de la vie de la troisième plume
des sœurs Brontë, Anne. Si Emily (1818-1848) avec Les Hauts de Hurlevent
et Charlotte (1816-1855) avec Jane Eyre sont très connues, Anna
(1820-1849) est oubliée, rarement citée dans les Histoires courantes de la
littérature anglaise, malgré ses deux romans Agnes Grey et, surtout,
Le Locataire de Wildfelt Hall. Comme elle l’avait fait pour
Vivian Maïer, Paulina Spucches ne vise pas tant la vérité biographique que la
vérité psycho-biographique de l’écrivaine, héroïne de Brontëana.
Revit
dans des planches impressionnantes par la peinture, la composition et les
tonalités, cette première moitié du dix-neuvième siècle dans les landes
britanniques, au sein d’une famille unie dont le père est un pasteur anglican
affecté pour une bonne partie de sa carrière dans un presbytère à Haworth. La
mort rôde sur cette famille, dont la mère meurt en 1821, les deux filles
aînées, meurent en 1825 âgées respectivement de 11 et 12 ans. Anne, Emily et
Charlotte avec leur frère Branwell jouent très jeunes à inventer des sagas dont
on connaît Légendes d’Angria. On suit les filles, à la
sensibilité exacerbée par la création littéraire collective et individuelle (le
clan Brontë écrit aussi des poèmes) dans leurs études, puis en tant
qu’enseignantes ou gouvernantes et la bande dessinée insiste sur leur retour régulier
au gîte familial. Emily, Charlotte et Anne vont prendre un pseudonyme masculin
afin de réussir à publier leurs créations romanesques. Naissent ainsi Ellis,
Currer et Acton Bell, trois frères écrivains…
Paulina
Spucches fouille la volonté créatrice d’Anne, les sources de ses romans,
notamment celles qui président au second, Le Locataire de Wildfelt Hall.
La peinture, lourde de matière, de Paulina Spucches, rend compte des révoltes
intimes, des réactions courageuses, des tiraillements intérieurs d’une jeune
femme qui cherche une reconnaissance sociale en tant que femme, qui se sent
brimé dans ses élans créatifs par l’étroitesse de la morale de la société
anglaise. Les couleurs profondes organisées sur la triade des fondamentales
(rouge, jaune, bleu) sont subjectives autant que suggestives et non imitatives.
Elles sont apposées sur des paysages figuratifs ou, plus rarement, sur des
intérieurs orchestrés par une luminosité dramatisante. Ces peintures aspirent
le lectorat vers un léger trouble qui est visualisation libre d’un mystère.
Ce
fort volume fait découvrir au lectorat une modernité d’Anne Brontë dont les
écrits effrayaient les convenances autant qu’elle heurtait l’immense majorité
d’un milieu de lettrés dominé par la gent masculine.
Pour
parfaire le bonheur de cette lecture, Paulina Spucches a inclus une relation de
voyage sur les terres des sœurs Brontë, une chronologie fouillée de leur vie,
des travaux préparatoires quelques reproductions de dessins d’Anne Brontë… Brontëana
est un trésor rapporté sur el rayonnage de la bibliothèque par l’imaginative et
talentueuse Paulina Spucches.
Philippe
Geneste
(1) SPUCCHES
Paulina, Vivian Maier. A la surface d’un miroir, Steinkis, 2021,
140 p. Lire le blog https://lisezjeunessepg.blogspot.com/ du 9 janvier
2022.