Anachroniques

29/08/2021

Futur d’histoires proches : entre désir et désespoir

GUIOT Denis (dirigé par), Renaissances. Six histoires réinventent le monde, textes de Nadia COSTE, Florence HINCKEL, Christophe LAMBERT, Yves GREVET, Nathalie STRAGIER, Jérôme LEROY, Syros-Cité des sciences et industrie, 2021, 329 p. 14€95

Ce volume est un accompagnement à l’exposition Renaissances, qui a ouvert le 15 juin dernier, et se tiendra jusqu’au 22 mars 2022, à la Cité des sciences et de l’industrie. L’exposition rappelle la publication en 1972 du rapport du Club de Rome qui prévenait de la catastrophe écologique et humaine à venir si la croissance économique fondée sur le profit se poursuivait.

Cette exposition cherchait à s’ouvrir au jeune public et c’est par la littérature qu’elle a choisi de le faire. A partir du sujet de l’exposition à savoir la crise écologique avec sa cohorte d’inégalités sociales, pollution, épidémies, « dérèglement des écosystèmes vivants, changement climatique, surconsommation des ressources » etc., il a été proposé à six écrivains d’approfondir six thèmes : l’alimentation, la santé, l’éducation, l’énergie, la communication et le vivre ensemble. Les histoires, situées dans un futur proche, partent d’un monde qui s’est effondré et chaque auteur scrute un devenir imaginaire de l’humanité. L’ouvrage fait écho au Manifeste du collectif d’auteurs et autrices de science-fiction, Zanzibar (1) : l’espace des imaginaires pour « se rencontrer, penser et commencer à désincarcérer le futur ». Une des nouvelles d’ailleurs, La Fresque de Christophe Lambert s’inscrit directement dans cette perspective.

Un intérêt tout particulier du livre est qu’il propose des textes qui ont une portée politique qui déborde l’humanisme ambiant et somme toute hypocrisie pour se donner bonne conscience faisant florès aujourd’hui jusqu’au sommet de l’Etat. Meurtre dans la douceur, en particulier propose une variation littéraire d’un texte de Jean-Jacques Rousseau : « Le premier qui, ayant enclos un terrain, s’avisa de dire : “Ceci est à moi” et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d’horreurs n’eût point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables : “Gardez-vous d’écouter cet imposteur ; vous êtes perdus si vous oubliez que les fruits sont à tous et que la terre n’est à personne !” » (2). Jérôme Leroy embarque le lectorat au cœur d’une intrigue policière au sein d’une communauté communiste d’où la violence est bannie et où l’altruisme et le sentiment de solidarité intérieure aux êtres s’épanouissent, jusqu’au jour où…

Que ce soit cette nouvelle, La Ferme au chapeau vert de Françoise Hinckel, Cueilleurs de vent d’Yves Grevet, Solange à Paris de Nadia Coste, La Fin du monde de Nathalie Stragier, La Fresque de Jérôme Lambert, tous les récits abordent une ou plusieurs des questions que soulève Roland Leboucq, dans sa postface : « Sur quelles bases [les personnages] construisent-ils les moyens d’atteindre une situation soutenable et de garder une planète habitable ? Comment s’organise la vie collective ? Quelle place y tiennent les techniques ? Y a-t-il des fictions sur l’avenir planétaire qui n’annulent pas les chances d’un avenir meilleur ? ». Faire connaître ce livre au jeune lectorat c’est les inviter à cheminer dans leur réflexion, pour l’aujourd’hui de leur vie et pour celle, demain, de la vie de l’humanité.

Les jeunes pré-adolescents et adolescents trouveront dans ces histoires matière à interroger leur quotidien, et, pourquoi pas, pour jeter un autre regard sur la tyrannie de l’urgence, de l’immédiateté. Les nouvelles rassemblées montrent aussi combien le genre de la science-fiction évolue en regard du présent. On ne trouve pas, ici, de présentation positive du progrès, ni une fascination de la technique. A la science dure se substitue dans ce recueil le recours aux sciences humaines, peut-être senties mieux aptes à susciter la réflexion chez les jeunes lecteurs et lectrices. Souhaitons que le choix d’avenir au centre de la nouvelle de Nathalie Stragier puisse effectivement subsister dans les années qui viennent : le choix de la civilisation par le progrès humain et social contre le choix de la barbarie par le progrès industriel et l’aveuglement techno-scientifique.

Philippe Geneste

(1) clin d’œil au roman de John Brunner Tous à Zanzibar. - (2) Rousseau, Jean-Jacques, Discours sur les fondements et ‘origine de l’inégalité parmi les hommes (1755).

22/08/2021

La vie, le sport, au révélateur des couleurs

HASSAN, Yaël, Poing levé, le muscadier, 2021, 169 p. 13€50

La collection rester vivant s’enrichit d’un nouveau titre du plus haut intérêt. Une composition particulièrement travaillée donne toute sa force littéraire au roman. Chaque chapitre porte pour titre une date (on passe ainsi du 20 mai 2020 au 22 juin 2020) et un résumé sommaire d’un titre du journal télévisé de France 2. Cette chronologie croise les émeutes provoquées par la mort à Minneapolis (USA) de George Floyd asphyxié sous le poids du policier Derek Chavin et les manifestations en France pour dénoncer la mort d’Adama Traoré. Le point commun : violences policières et racisme.

A ce dispositif chronologique se subordonne des extraits de l’autobiographie de Tommie Smith telle que lue et rapportée par deux adolescents qui la consultent pour un exposé de français. Les extraits mènent de la ségrégation raciale en vigueur aux USA dans les années 1950/1960 jusqu’aux Jeux Olympiques de Mexico où Tommie Smith remporta une médaille d’or et monta sur le podium comme son ami John Carlos arrivé troisième, en chaussettes noire et arborant un poing levé ganté de noir alors que résonnait l’hymne américain. Cette protestation contre le racisme de la plus grande puissance du monde coûta cher à ses auteurs, comme d’ailleurs à l’australien Peter Norman qui portait le badge de l’OPHR (Olympic Project for Human Right initié par Harry Edwards et Tommie Smith) en soutien.

L’évocation de la vie de Tommie Smith est motivée par le travail scolaire mentionné alors que les élèves et leur professeur vivent sous le régime du confinement.

Ces trois strates narratives, -la première relevant du sommaire, la seconde du récit biographique, la troisième de la narration mettant en cause les relations entre des adolescents et préadolescents, une narration mêlant le genre romanesque à la communication de SMS et à l’écriture saisie sur le net- convergent jusqu’à se fondre donnant unité à la scène finale du roman.

Comme souvent en littérature de jeunesse, le récit historique est l’occasion d’un récit d’apprentissage, sauf qu’ici, de par la composition, celui-ci n’efface pas les données historiques sur le mouvement de libération des noirs américains. Junior, le jeune héros noir, va se politiser au cours de l’histoire et de l’avancée de son exposé. L’auteur tisse sur ce fil une histoire d’amour adolescente, qui elle aussi vient alimenter la thématique du racisme et de la lutte antiraciste. Ainsi, tout en se coulant dans le récit pour la jeunesse, l’auteur apporte une argumentation instruite qui donne étoffe à l’histoire autant qu’elle suscite réflexions : Tommie Smith, George Floyd, Adama Traoré, même combat ?

 

LAM Kei, Les saveurs du béton, Steinkis, 2021, 215 p. 20€

L’autrice de Banana Girl (Steinkis, 2017) poursuit son autobiographie d’une jeune immigrée venant de Chine avec ses parents. On la suit, pré-adolescente, s’installant en banlieue parisienne, dans une cité d’immeubles. C’est l’occasion d’instruire le jeune lectorat sur l’urbanisme, la ghettoïsation des populations selon les critères de richesse et de pays d’origine. Grâce aux dessins, on rentre dans ces lieux à bien des égards clos sur eux-mêmes, la narration y déjoue certains stéréotypes sociaux et le récit personnel fait ressentir le poids d’un racisme ordinaire.

La vie de famille est l’occasion de revenir sur les stéréotypes de la répartition des tâches entre mari et femme. Comme tout est vu à travers le regard de la préadolescente, il se dégage de l’ouvrage une grande fraîcheur : fraîcheur de ton, fraîcheur des thèmes. Profondément social, ce roman graphique destiné spécialement à la jeunesse, évite toutes les chausse-trapes du récit à thèse. Aucune lourdeur ici, alors que la découverte de l’immigration chinoise n’est pas chose courante en littérature de jeunesse, voire en littérature tout court.

Philippe Geneste

15/08/2021

La comptine, un jeu d’enfant…

DENEUX Xavier, Une Poule sur un mur, Milan, 2020, 10 p. 9€9o

La comptine présente l’intérêt d’un texte simple, à la puissance créative contenue dans le procédé de mise en texte. Lisons l’album :

On entre dans une comptine en vers heptasyllabiques (sauf un octosyllabe, changé du texte original, on ne sait pourquoi), avec assonances et allitérations pour marquer le rythme. L’amusement avec les sons, avec le souffle des mots, s’entremêle au choix rare de l’impair, comme pour souligner l’incongruité de la situation. Le chant est traversé d’humour, avec la répétition pour vecteur principal. C’est la répétition qui gouverne aussi le rapport de l’image au texte.

Á la formulette chantonnée s’adjoint un plaisir tactile offert à l’enfant par les pages cartonnées en relief. On suit la petite poule dans ses péripéties un peu ubuesques, dessinée à la manière d’un poussin à crête ; l’enfant accroche les pages, suit du doigt l’animal, soit en relief soit en creux. La lecture est sensorielle, auditive, visuelle, tactile. L’auteur use de l’aplat de couleurs vives mais pas criantes. Le matériau de fabrication de l’ouvrage est doux ; le livre est solide, réellement fait pour être manipulé sans risque par l’enfant.

On est toujours frappé de voir combien les enfants suivent le fil narratif quasi non-sensique de la comptine, ce qui laisse bien supposer que l’imaginaire enfantin procède, grâce à l’interaction avec l’autre, ici l’adulte, selon un schème du récit sous-jacent au langage et à l’agencement des mots dans une phrase, et ce quelle que soit la langue en cours d’acquisition. 

Une Poule sur un mur présente cette particularité que la chute finale n’en est pas une. Elle appelle plutôt la continuation de la même comptine par répétition simple ; un jeu d’enfant…

 

SANCHIS Lisa, Un Petit Cochon pendu au plafond, Tourbillon, 2020, 2p. 16€

La célèbre comptine est écrite sur un livre en tissu illustré. Le matériau permet de manipuler le livre, de rendre sensible le rythme, tout en jouant avec l’enfant en le poussant, par répétition et induction, à mémoriser la comptine. Un côté du livre tissu est un cochon rose très doux ; l’autre côté comporte le texte et les images avec des flaps, du papier crissant, des cordelettes qui annoncent des surprises, un élément sonore.

Permettons-nous de souligner l’importance pour l’enfant de s’approprier la comptine sans que l’adulte ne montre qu’il la connaît. L’enfant doit faire de la comptine son affaire, car au cours des âges, elle est devenue une affaire d’enfants. Il est donc essentiel de solliciter l’enfant pour qu’il dise la comptine, pour qu’il la scande. Tout ce qui ressemblerait à un rituel de langage serait le bienvenu car ce serait valoriser l’intériorisation par l’enfant d’un genre de discours nouveau, qui viendrait enrichir ceux déjà construits par lui.

L’enfant, alors, use de la comptine comme d’un élément de son monde. Autrement dit, il intègre à son monde le genre de la formulette. Or, la formulette est une invitation à jouer avec le langage. Ce qu’il s’approprie ici peut demain devenir un schème discursif qu’il appliquera à l’expression de ses actes ou en accompagnement de ses actes. Le support en tissu amplifie la dimension fantaisiste de la formulette et de la diction, la matérialise grâce à la manipulation. En attendant de jouer avec ses camarades à partir d’une formulette, l’enfant s’en imprègne dans son rapport à l’adulte et par l’interaction au livre. Cette dernière est, elle-même, une propédeutique à la lecture des livres futurs, une première phase concrète, matérielle d’introduction au livre.

Philippe Geneste

08/08/2021

L'humanité dans l'aveuglement de sa chute

CUENCA Catherine, La Petite Fleur d’Hiroshima, oskar, 2020, 108 p. 10€95

« Le ciel est d’un bleu aussi pur que mes pensées (…)

Un avion vient d’apparaître (…)

Il se déplace lentement au-dessus de la ville, tel un oiseau majestueux.

(…) Au fond, ce n’est peut-être qu’une vision ».

Voici un excellent roman historique, à structure polyphonique et qui suit une trame chronologique : les 10 jours qui mènent à Hiroshima. Les narrateurs sont : un soldat américain d’origine japonaise, engagé en Birmanie dans le 442e Regimental Combat Team - bataillon mis sur pied en 1943, composé principalement de nippo-américains. Il échange une correspondance avec son frère tandis qu’une enfant d’Hiroshima le fait avec son frère kamikaze ; un narrateur omniscient, voix des épilogues dont deux uchroniques, raconte surtout la vie du 442e RCT. La seule faiblesse du livre est dans la discordance entre la composition alternant les points de vue et un style uniforme qui n’arrive pas à incarner la polyphonie structurante du récit.

L’entrecroisement des récits épistolaires permettent de décrire la condition des Nisei, nom par lequel sont désignés les enfants de la première génération d’immigrés japonais aux USA. Ils sont soumis à la défiance xénophobe entretenue par le pouvoir US, peu après l’attaque de Pearl Harbor (7/12/1941) par les troupes japonaises. Ils furent alors disséminés et parqués dans des camps en février 1942 et durent abandonner sur place leurs biens et maisons.

On suit ainsi à la fois la vie confinée des Nisei en Amérique, les missions données au 442e RCT, et la vie à Hiroshima avec la préparation des civils pour la défense de la ville. Les deux épilogues uchroniques permettent de rappeler les conditions géopolitiques qui menèrent à la barbarie du largage de la bombe atomique sur Hiroshima le 6 août 1945 et sur Nagasaki le 9 août 1945, à la destruction de 70% des bâtiments sur 12 km2, à la mort de 140 000 victimes, à l’insupportable condition des hibakusha (survivants du bombardement).

En cent huit pages, Catherine Cuenca offre un roman rigoureux et prenant, informatif mais non didactique. De plus, La Petite Fleur d’Hiroshima met à plat l’engrenage mortifère qu’engendre « l’esprit de destruction » qui s’empare des hommes et qui gouverne toujours les relations nationales et internationales. Le roman ouvre ainsi au jeune lectorat un riche horizon d’interrogations et la problématique du pacifisme et de l’abolition de l’arme atomique.

Philippe Geneste

01/08/2021

Le livre pour savoir comment faire

DÜRR Morten, Comme un murmure, dessins Sofie Louise DAM, traduit du danois par Catherine Renaud, Jungle, 2021, 80 p. 13€95

Ce livre venu du Danemark, écrit par un journaliste et auteur de livre de jeunesse suédois, possède une dimension internationale sur le sujet de la maltraitance et de l’aide à l’enfance. Il s’appuie, pour la France, sur la Convention Nationale des Associations de Protection de l’Enfant. L’ouvrage raconte le jeu des murmures et met en situation une enfant confrontée à la confession d’une de ses camarades qui lui dit être battue. Les dessins de Sofie Louise Dam privilégient les scènes de dialogue. Plans moyens et plans rapprochés dominent. Le récit conte le comportement de l’enfant battue et les atermoiements de sa copine pour rapporter aux adultes sa connaissance de la situation.

C’est un livre pratique parce que dessins et textes incitent le lectorat à se demander ce qu’il ferait. Mais c’est aussi un récit dialogué, une fiction, qui se laisse lire comme un roman graphique. C’est un livre dont la présence s’impose dans tous les centres de documentation et d’information ainsi que dans les rayons jeunesse des bibliothèques et médiathèques.

 Mes Premiers jeux de société, Tourbillon, 2021, 8 p. 14€95

L’ouvrage aux pages solides propose quatre plateaux de jeux de société : un jeu de l’oie dans la savane, un jeu type échelle et serpent sous l’océan, un jeu de course avec des dinosaures, un jeu pour sauver un paresseux. Les deux premiers sont classiques, les deux derniers sont originaux. Chaque jeu se joue de 2 à 6 joueurs et un seul à deux joueurs exclusivement. La règle pour jouer est inscrite sur chaque plateau correspondant. Un dé de couleurs, un dé de chiffres et six pions sont fournis.

Cette création emporte une dimension instructive. Le jeu de l’oie fait apprendre au petit enfant les noms des animaux de la savane ; le jeu de la course le familiarise avec les noms des dinosaures ; et bien sûr, il apprend à identifier les chiffres sur un dé comme le nom des couleurs sur l’autre.

Pratique, enfin, le format carré (17,5 x 17,5) est idéal pour emporter ce livre jeux de société en voyage, pour jouer dans la voiture, dans le train…. Une belle création pratique des éditions Tourbillon.

 CARBONE, LOUESLATI Chadia, SOTO Axelle, Maths 6e c’est facile en BD, Nathan, 2021, 96 p. 11€90

En treize BD sont mises en scène plusieurs notions mathématique du programme de sixième. Á chaque BD, s’ajoute, toujours illustré et dessiné, un rappel pour retenir ce qui a été mis en scène. Enfin, des jeux permettent de mettre en application les connaissances acquises. Bref, un ouvrage parascolaire « conforme aux programmes ».

commission lisezjeunesse