JEAN
Didier & ZAD, Où Cours-Tu Petite Plume ?, Utopique,
40 p. + 1 CD
« Car
au goût de la liberté, les poulets,
eux, préférèrent le goût du blé »
Pour
les petits enfants entendants, l’histoire sera accessible aisément par l’écoute
du cédérom qui dure 14 minutes 13 secondes et que prolonge durant 5 minutes et
1 seconde, la chanson correspondante de l’histoire. En même temps, l’enfant
pourra, aidé au début par l’adulte, suivre l’histoire par les images de l’album
qui sont d’un assez grand format, aux couleurs chaleureuses et au papier doux.
L’adulte peut aussi lire l’album à l’enfant et fouiller avec lui les images
pour y retrouver les composants du récit, les détails et suivre l’enfant dans
sa découverte propre. Ainsi, l’album de Didier Jean et Zad joue de trois approches
d’une même histoire : l’écriture, l’image et l’enregistrement, soit la
lecture et l’écoute. À cette richesse déjà notoire, il faut ajouter le
quadruple vecteur générique : l’album, le conte, la musique et la chanson.
Voilà un soin de conception et de composition qui suffirait à lui seul pour
recommander l’ouvrage à l’achat comme son utilisation dans les classes ou dans
les dispositifs de lecture parascolaire.
Mais
l’histoire ? Petite Plume est une variante de La
Chèvre de Monsieur Seguin d’Alphonse Daudet. Nul besoin d’avoir lu
Daudet pour lire Jean & Zad, mais dans les deux cas la problématique de la
liberté est posée avec, chez Jean & Zad, celle de la servitude volontaire.
Petite Plume est un poussin malin, fugueur, et qui a soif de découvrir le monde
en dehors du poulailler. Un jour, par hasard, cependant, il se trouve coincé en
dehors du poulailler et va devoir passer la nuit dehors ; Il va connaître
la peur, les effets paniquants de son imagination encore empreinte de son
asservissement de membre d’une basse-cour.
Mais
un ours le prend sous sa protection et avec lui, il va découvrir la beauté de
la nature dont le vecteur principal est le racontage d’histoires : entrer
dans l’imaginaire du récit, du conte, de la chanson, pour s’approcher au plus
près du réel, le mieux voir, y apprendre, bref, faire connaissance avec tout ce
qui n’est pas soi, avec l’environnement physique et vivant.
Anicet,
le petit poussin aux petites plumes, va vouloir rapporter ses découvertes à la
basse-cour. Au grand désespoir de son ami l’ours, il repart donc au poulailler.
Là il va comprendre que les poules ne sont nourries que pour être rôties plus
tard, il va comprendre que ses consœurs et confrères ont intériorisé leur
servitude et volontairement préféré la sécurité de leur connu au risque de la
liberté. Dépité, Petite Plume va choisir de repartir dans la vie libre, non
sans ayant fait une adepte avec une poulette, elle aussi intrépide et voulant
rompre les chaînes qui la mèneront inéluctablement à la casserole de la
fermière.
Racontée
sur le CD par la voix aux intonations humoristiques et de confiance de Gérad
Bertin, le CD épouse la douceur des dessins réalistes et classiques mais ô
combien appropriés au jeune lectorat. À cette voix s’ajoutent des chœurs et les
voies chantées de Malo Marie et Danielle Jean, le tout composé, enregistré,
mixé par Didier Jean. Quant aux illustrations, réalisées, mais cela n’est pas
une découverte, avec brio, elles sont finement pensées. En effet, l’album ne
comporte aucun visage humain. On ne voit que les trois-quarts du corps de la
fermière vue du point de vue du poussin, c’est-à-dire en contre-plongée, des
pieds à la poitrine, on revoit ensuite la fermière, mais au lointain emportant
une malheureuse volaille à la cuisine, et surtout, de dos. Les humains jouent
autant le rôle du loup du conte-fable de Daudet (remplacé ici par un renard
lourdaud et grossièrement goulu) que le rôle de l’ogre du conte traditionnel.
Et pour y échapper, il faut savoir déchiffrer les dressages sociaux.
L’intelligence de l’album est de montrer que pour accomplir cette dernière
tâche, Petite Plume a eu besoin de la société des animaux, de leurs histoires
animalières et naturelles transmises de générations en générations. Où Cours-Tu Petite Plume ? n’est
pas centré sur l’individu mais sur la nécessité pour le poussin de développer
sa socialisation pour devenir lui-même et, peut-être, avec d’autres, bâtir un
monde sans prison, sans entrave, sans tuerie. La liberté c’est le risque pris
pour l’épanouissement de la part d’humanité que nie l’individualisme de nos
sociétés autant que l’univers hiérarque contemporain à la recherche des
profits… mais c’est là interprétation, preuve au moins que Où Cours-Tu
Petite Plume ? est un livre qui ouvre la réflexion.
CHAZERAND Émilie, Jeannette, la vie du bon côté. La sieste,
illustrations d’Anna GUILLET, Milan, 2025, 24 p. 10€90
Ils sont quatre : un petit être qui répond au nom de Jeannette,
la régulatrice du groupe, Sergio l’ânon bougon, Lévi le castor et Max le gentil
escargot tout baveux. Ils sont quatre figures animalières des petits enfants au
moment de la sieste.
Or, Sergio n’a pas son doudou. Jeannette tente bien de recréer
le lien émotionnel avec un autre objet, mais ça ne marche pas. Max lui propose
bien le sien, mais Sergio le repousse comme ne lui correspondant pas, comme
s’il ne pouvait pas être lui-même avec cet objet. Toute l’histoire va tourner
autour de l’acceptation de Sergio d’un doudou autre que le sien mais où il se
retrouverait, lui. Tant qu’il ne l’a pas trouvé, Sergio est trop désorienté
pour dormir et laisser dormir ses amis. Il lui faut retrouver cette relation
sécurisante à ce que représente pour lui le doudou, à savoir son univers
affectif le plus intime et en ce sens inséparable de lui (1).
Heureusement, dans l’histoire d’Émilie Chazenard mis en dessin
de couleurs par Anna Guillet, il va se trouver un objet que Sergio va accepter
comme doudou : ce sera un objet neutre au sens de n’appartenant à
personne, donc libre d’appropriation par l’affectivité du personnage qui est
mal de par l’absence du sien. L’histoire montrerait donc que le doudou ne ferme
pas l’enfant au monde et que la mère, si l’on suit Françoise Dolto, a peut-être
varié les objets qui accompagnaient leurs relations, par exemple au moment de
la tétée (2).
L’album, à lire aux enfants, va même plus loin. Jeannette,
épuisée par les efforts qu’elle a fournis pour calmer l’agitation de Sergio,
s’endort… sans son doudou…
Philippe Geneste
Notes: (1) C’est une caractéristique de l’objet transitionnel mis à jour par Winnicott avec le fait que cet objet est aussi « une possession de quelque chose qui n’est pas moi » (cité par Laplanche, Jean et Pontalis J.-B., Vocabulaire de la psychanalyse, sous la direction de Daniel Lagache, Paris, PUF, 1981, 523 p. – p.296). - (2) « C’est tout de même une relation de la mère avec lui, que l’enfant projette » sur l’objet transitionnel. Dolto, Françoise, Séminaire de psychanalyse d’enfants I, édition réalisée avec la collaboration de Louis Caldaguès, Paris, éditions du Seuil, 1991, 238 p. – pp.236-237.