Varsimashvili-RaphaEl Maïa, Le Chat et le tigre. Contes de Géorgie, illustrations de l’auteur, L’Harmattan, collection La Légende des mondes, L’Harmattan, 2011, 65 p. 10€
Voici un très bon ouvrage pour découvrir dès 8/9 ans les contes géorgiens. Trois contes animaliers prouvent à l’enfant que les fables et autres contes qu’il a pu écouter ou travailler à l’école se retrouvent sous d’autres contrées, à travers des dispositifs narratifs différents. Un conte drôle et cruel à la structure linéaire précède un récit plus épais qui préconise la dignité humaine contre la vénalité… un conte sans nul doute d’actualité !
Les textes sont très bien écrits, une brève préface situe les lieux, renseigne sur l’origine des contes transcrits sur papier au dix-neuvième siècle. On sait, aussi, que c’est sur la tradition orale que le sentiment d’identité populaire allait grandir pour s’opposer à tous les envahisseurs qui traversèrent le pays au fil de son histoire. C’est pourquoi les contes ouvrent au monde. Avec le livre de Maïa Varsimashvili-Raphael une fenêtre est toute grande ouverte aux enfants de langue française sur un espace et une histoire qu’ils connaissent peu. G. Ph.
Entretien
avec
Maïa Varsimashvili-Raphael
1. Quel lien vous unit à la culture populaire de Géorgie ?
Comme cela arrive en règle générale, ma première rencontre avec le folklore se situe dans mon enfance. Les contes géorgiens ont pénétré mon univers à travers la voix de ma mère, avant que j’apprenne à lire. Puis ça a été une initiation silencieuse par le biais des livres. Jusqu’à aujourd’hui, je me souviens de ces recueils de contes, sans illustration ou avec quelques dessins en noir et blanc, et de leurs pages jaunâtres d’un parfum délicat – un étrange mélange de sucré et de moisi qui chatouillait le nez… J’ai amené en France un de ces livres de mon enfance. Aujourd’hui, j’entends ma mère le lire à mes filles, fascinées, et sa voix me ramène en arrière. Mais je ne peux plus revivre la même chose que des années auparavant. Ce n’est pas que les contes ont cessé d’exister pour moi, mais ma force d’imagination n’est plus la même…
Le folklore, d’une manière directe ou indirecte, m’a suivie lors de ma lecture de la littérature géorgienne.
Le caractère syncrétique et collectif, le dialogisme, l’anonymat, la transmission par voie orale, la multitude de versions opposent le folklore à la tradition littéraire. Mais tout au long de l’histoire, ils se croisent et agissent mutuellement. D’un côté, nous avons les œuvres littéraires, « noyées » dans la tradition orale, comme Le Chevalier à la peau de tigre de Roustaveli (XIIe siècle) et d’un autre, les œuvres folkloriques qui donnent naissance aux œuvres littéraires. Certains écrivains des XIXe-XXe siècles, comme Vaja Pchavéla, Constantin Gamsakhourdia ou Grigol Robakidzé, trouvent une grande partie de leur inspiration dans la tradition populaire.
Plus tard, lors de mes années d’étudiante, le folklore géorgien a toujours eu sa place. C’était une autre approche – scientifique, analytique, une prise de distance… A l’Université de Tbilissi, où j’étudiais la langue et la littérature géorgiennes, j’ai eu la possibilité de lire beaucoup de bons ouvrages sur le folklore et la chance d’écouter de très bons professeurs, comme par exemple, Zourab Kiknadzé. Mon intérêt pour le folklore national a continué pendant mon travail sur ma thèse de doctorat, que j’ai soutenue en France. Le symbolisme et le folklore, quelque éloignés qu’ils semblent, ont des points communs. Les questions de la création collective, du naïf, de l’âme nationale, ainsi que la versification de la poésie populaire et ses moyens d’expression constituent des axes de réflexion esthétique et de pratique poétique des symbolistes géorgiens.
2. sur quelles sources vous êtes-vous appuyée pour traduire et / ou (?) adapter les six contes du recueil ?
En Géorgie, le recueil des œuvres folkloriques et leur notation commencent au début du XIXe siècle. Le premier exemple de ce genre de recueil est une anthologie (1819-1825) de Grigol Bagrationi qui regroupe des textes de chansons, de comptines et des proverbes. Dimitri Bagrationi, Platon Iosseliani, Theymouraz Batonichvili, David Tchoubinachvili collectent des poésies, des légendes, des proverbes afin de conserver la tradition orale sur un support. Ilia Tchavtchavadzé, Akaki Tsérételi, Iacob Goguébachvili, Vaja Pchavéla, Raphiel Eristavi, Petré Oumikachvili publient des contes, légendes, proverbes, poésies sous forme de recueils et dans les périodiques Sakartvelos moambé, Iveria , Tsiskari. La Société pour l’alphabétisation des Géorgiens, et l’Association historique et ethnographique de Géorgie, favorisent cette activité.
Plus tard, à partir des années 1930, apparaissent des éditions avec des textes scientifiquement établis, annotés et préfacés de M. Tchikovani (1938,1952, 1956), K. Sikharoulidzé (1938), A. Glonti (1948, 1952, 1956), E. Virsaladzé (1949, 1958).
La source de mes traductions est une édition de 1976, sous la direction de David Gogotchouri, édition « Nakadouli », Tbilissi, illustrée par Tenguiz Mirzachvili.
La seule modification que je me suis autorisée à faire a été apportée au conte « Le renard, l’ours et le loup ». J’ai essayé d’atténuer la cruauté du renard qui cuit les oursons dans l’eau bouillante pour se venger de l’ours.
J’avais envie que les jeunes lecteurs français puissent lire ce que les enfants géorgiens aiment et ce que mes filles connaissent…
3. L'Harmattan a publié il y peu des contes ossètes*. Les contes géorgiens entretiennent-ils un lien culturel avec ces contes ?
La littérature ossète est relativement récente. La tradition écrite, née dans la deuxième moitié du XIXe siècle, est liée aux noms de Mamsourov, Khetagourov, Gadiathie, Kotsoïthi, Koubalov entre autres… Quant à la tradition orale, elle est très ancienne. L’épopée Nartes, dont la genèse n’est pas définitivement établie, remonte aux VIIe-IVe siècles av. J. C., à l’époque du matriarcat. Ses mythes et légendes ont été recueillis au XIXe siècle et étudiés au XXe siècle par des scientifiques comme Georges Dumézil, Vassili Abaïev. Dans ce monde épique, les dieux, les hommes et la nature ne font qu’un. Aujourd’hui, dans le Caucase, on rencontre encore des conteurs qui gardent vivantes certaines légendes sur les Nartes…
Les Ossètes et les Géorgiens ont vécu côte à côte durant des siècles. Leurs traditions folkloriques, bien évidemment, traduisent cette cohabitation. Les scientifiques observent chez les deux peuples des sujets relatifs à des divinités protectrices, des motifs de totems, des rites de chasse, agraires… Le folklore ossète porte des traces de christianisme, notamment de l’influence du culte de Saint Georges. Les héros épiques, luttant contre les forces du mal, manifestent eux aussi une certaine ressemblance. Selon les scientifiques (Niko Marr, Mikheil Tchikovani, Vassili Abaïev), le mythe géorgien d’Amirani (que certains rapprochent de Prométhée), s’est répandu dans le Caucase du Nord. De son côté, l’épopée Nartes a trouvé un écho chez des peuples voisins, comme les Svanes et d’autres peuples montagnards.
Entretien réalisé le 23 février 2012
* Contes populaires ossètes (Caucase central), textes traduits et présentés par Lora Arys-Djanaïeva et Iaroslav Lebedynsky, L’Harmattan, 2010, 254 p. 23€50. Voir le blog du 4 septembre 2011