DENEUX Xavier, Mes Livres, Tourbillon, 2023, 14 p. 12€50
Mes
Livres
propose une poétique enfantine du livre. La couleur y est liée, arbitrairement,
à un symbolisme des histoires où le petit lectorat est invité à se projeter, à
vivre et à rêver. Rêver, justement, parce que l’histoire est lue, souvent avant
l’endormissement.
En
ce livre de format carré, fortement cartonné et aux bouts arrondis pour que le
petit enfant manipule sans danger les pages, la littérature se fait fille du
sommeil, épouse de l’onirisme. Elle appelle au recommencement du geste de la
page qu’on tourne, qui se tourne, du mot qu’on prononce qu’on écoute, du rythme
qui bat, du vers qui se rappelle, du dessin qui emporte au pays des fantaisies,
de la couleur, enfin, qui vit et fait vivre Mes Livres.
CHABBERT Ingrid, La Machine à lire de Bouquinville, illustrateur Raùl GURIDI, Frimousse, 2024, 32 p. 18€
Cet
album de grand format, où l’illustration alterne le silhouettage des
personnages, le dessin architectural au trait clair, la quasi pictographie
utilisée dans les modes d’emploi, peut se lire à différents niveaux.
Littéralement,
La Machine à lire de Bouquinville raconte
l’histoire d’une ville dont les habitants et habitantes sont des dévoreurs
et dévoreuses invétérés d’histoires. Ces histoires, les habitants n’ont pas à
les lire car la ville est munie d’une machine à lire qui dispense de l’effort
visuel. Bouquinville est une ville de culture auditive. Un jour, la machine
tombe en panne : que faire ? Comment guérir les bouquinvillois et
bouquinvilloises de la souffrance qui s’empare de leurs êtres à cause du manque
d’histoire ? La famine littéraire s’installe…
Allégoriquement,
La Machine à lire de Bouquinville interroge le lectorat sur la
dépendance de l’humanité à la technique. À l’heure des multimédias, des
liseuses, des livres numériques, il ne fait aucun doute qu’Ingrid Chabbert et
Raùl Guridi cherchent, par la réalité physique figurée,a à initier une
réflexion dépassant l’histoire littérale. Se trouve alors convoqué un discours
sur la lecture et sur l’importance pour l’être d’humanité à apprendre à lire. La
Machine à lire de Bouquinville est alors un album de défense et
d’illustration de la lecture.
Dans
l’histoire littérale, les bouquinvillois vont rechercher une habitante qu’ils
ont mise au ban car elle refusait l’usage de la machine pour lire. Or, après
des années de machine à lire, il n’y a plus qu’elle qui sache lire, c’est donc
à elle qu’on va demander à lire les livres, à se substituer à la machine à
lire, à devenir un robot humain de la lecture ; Or, Simone, qui, par conviction
d’humanité, a refusé la subordination à la machine, refuse de devenir une sorte
d’esclave de la lecture. En revanche, elle appelle chaque bouquinvillois et
chaque bouquinvilloise à apprendre à lire. Le premier sens allégorique de La
Machine à lire de Bouquinville glisse vers un éloge propagandiste de
l’apprentissage de la lecture.
La
Machine à lire de Bouquinville nous met en garde contre une régression
cognitive possible de l’humanité alphabétisée qui ne saurait pas maîtriser son
appétit des machines et de la technique. Ingrid Chabbert et Raùl Guridi se
font, en quelque sorte les luddistes contemporains pour que se perpétue et vive
la culture livresque. Est-il besoin de dire que l’album, lu à l’enfant de 5/6
ans ou lu par l’enfant de 7/12 ans, est au cœur d’une des problématiques
contemporaines essentielle où se joue le devenir de l’humanité ?
Nota
Bene
Les
enseignants et enseignantes, les éducateurs et éducatrices, les
bibliothécaires, les soignants et soignantes, liront avec intérêt le livre de
DENIS, Marine Nina, 100 Idées pour pratiquer la bibliothérapie,
Tom Pouce, 2023, 152 p. 16€. L’autrice propose, dans un langage clair, des
situations pour faire découvrir les bienfaits des livres à des personnes âgées
ou adultes, à des enfants, des élèves. La lecture y est considérée comme une
pratique valant pour le développement personnel et pouvant être utilisée dans
certaines thérapies.
Ce
qui nous semble particulièrement ressortir du livre est l’appui pris par
l’autrice, bibliothérapeute, sur l’empathie. Au fond, la lecture serait une
pratique ouvrant à la connaissance de soi autant qu’une pratique permettant de
développer l’empathie, donc le lien inter-humain. On appréciera les situations
de groupe que les professionnels adapteront aisément à leur milieu
d’intervention. Par exemple, le milieu enseignant trouvera des éléments
aisément transférables lors de l’amorce de l’étude d’une œuvre complète ou lors
d’une enquête sur la lecture menée par des groupes d’élèves, en explorant le
chapitre « Lire en conscience » proposé par Martine Nina Denis.
Le
livre n’est pas un ouvrage théorique, il est une boîte à idées et il tient
grandement promesse en faisant, de plus, découvrir un domaine peu connu de
l’univers des livres.
Philippe
Geneste